Des migrants quittent la Hongrie à pied, l’Europe sous pression

A 2.000 kilomètres de là, dans la ville syrienne de Kobané (nord), une assistance en pleurs a inhumé le corps d’Aylan Kurdi. Le petit garçon de trois ans est mort noyé alors qu’il tentait avec sa famille de rallier l’île grecque de Kos, porte d’entrée dans l’Union européenne, et la photo du corps échoué sur une plage turque a envoyé une onde de choc dans le monde entier.

Le père de l’enfant l’a un temps tenu contre lui avant de déposer le petit corps dans la fosse, a raconté un témoin.

La mère et le frère âgé de cinq ans d’Aylan, ainsi que neuf autres réfugiés syriens, sont également décédés dans le naufrage de leur embarcation.

Touché par la mort d’Aylan, le Premier ministre britannique David Cameron, critiqué alors que son pays n’a octroyé l’asile qu’à 219 Syriens en un an et demi et connu pour son inflexibilité sur la question, a fait volte-face.

« Face à l’ampleur de la crise et à la souffrance des gens, je peux annoncer aujourd’hui que nous en ferons davantage, en accueillant des milliers de réfugiés syriens supplémentaires », a-t-il promis à Lisbonne.

En Europe, la Hongrie – où plus de 50.000 migrants sont arrivés pour le seul mois d’août – continuait de ressentir les vives secousses liées à ces arrivées sans précédent.

Un Afghan de 51 ans est mort en fin d’après-midi, dans des circonstances non encore élucidées, quand 350 migrants se sont échappés d’un train immobilisé depuis jeudi à Bicske, près de Budapest, d’où les autorités souhaitaient les transférer dans un camp.

Un millier de personnes ont par ailleurs entrepris de rejoindre à pied l’Autriche, distante de 175 km, depuis la gare de Budapest où elles étaient bloquées depuis plusieurs jours. Les autorités ont en effet interdit tout départ de train vers l’Autriche et l’Allemagne, riches pays européens que la plupart des migrants rêvent d’atteindre.

Déterminée et joyeuse, la foule, dans laquelle on comptait des enfants et des personnes en fauteuil roulant, a traversé l’un des principaux ponts sur le Danube en brandissant un drapeau européen et a quitté la capitale sans être inquiétée par les forces de l’ordre.

« Plus rien ne nous retient, on marchera le temps qu’il faudra, deux, trois, quatre jours », assure à l’AFP Nazir, un jeune Syrien rayonnant de confiance et de soulagement après des jours de vaine attente à la gare.

Par ailleurs, 300 migrants se sont brièvement échappés d’un camp de premier accueil situé près de la frontière serbe à Röszke, poussant Budapest à fermer provisoirement et partiellement ce poste-frontière autoroutier.

Dans ce contexte, le Parlement hongrois a voté en urgence un durcissement de sa législation en matière d’immigration, proposé par le Premier ministre populiste Viktor Orban. Les textes renforcent les possibilités de déploiement de l’armée aux frontières et rendent l’immigration illégale passible de trois ans de prison.

– Couloir ferroviaire –

La Hongrie critique vertement l’Allemagne, qui a décidé de ne pas renvoyer les réfugiés syriens vers leur pays d’entrée en Europe, ce qui crée selon elle un appel d’air.

« L’Europe doit arrêter de susciter des rêves et des espoirs irréalistes », a martelé son ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto.

La République tchèque et la Slovaquie ont elles proposé d’ouvrir un couloir ferroviaire pour transporter les réfugiés syriens de la Hongrie vers l’Allemagne, si Budapest et Berlin sont d’accord.

Les Européens sont sous pression pour faire preuve de solidarité alors que plus de 300.000 personnes ont traversé la Méditerranée depuis le début de l’année, et plus de 2.600 sont mortes en effectuant ce périple.

Le Haut-Commissaire pour les réfugiés (HCR) de l’ONU, Antonio Guterres, les a appelés à aider les pays en première ligne, la Grèce, l’Italie et la Hongrie, en répartissant 200.000 demandeurs d’asile qui y sont arrivés au sein des 24 autres pays membres de l’UE.

« Les émotions peuvent aussi faire bouger les hommes politiques, et le moment est maintenant venu ! », a lancé le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, en arrivant à une réunion de l’UE dans le Grand Duché.

« L’Europe n’a pas le droit de se diviser face à un tel défi », a martelé le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier à Luxembourg.

Les divergences au sein de l’Union, « entre l’Est et l’Ouest » selon le président du Conseil européen Donald Tusk, révèlent un continent déchiré entre la fermeté face à l’afflux massif de déplacés à ses frontières extérieures et les appels à la solidarité.

– Moment de vérité –

« Nous vivons un moment de vérité dans l’Histoire européenne. Nous pouvons réussir, ensemble et unis, ou nous pouvons échouer chacun à sa propre façon, dans son propre pays, ou sur ses propres îles », a jugé le numéro deux de la Commission européenne, Frans Timmermans, en visite à Kos.

La Commission européenne va proposer aux Etats membres de l’UE de partager l’accueil de 120.000 réfugiés arrivés récemment en Grèce, en Hongrie et en Italie.

Elle envisage aussi de demander des compensations financières – pour une durée limitée et « des raisons objectives » – aux pays qui refuseraient d’accueillir des réfugiés sur leur sol, selon une source européenne.

L’Allemagne, qui va recevoir un nombre record de 800.000 demandes d’asile cette année, et la France plaident ouvertement pour un système de répartition européen, la chancelière allemande Angela Merkel évoquant des « quotas contraignants ».

Mais ce sujet est tabou dans plusieurs pays de l’Est de l’Europe, qui se sont ligués cet été pour bloquer une proposition de la Commission européenne pour répartir en urgence un premier contingent de 40.000 réfugiés. Un accord a minima, sur la réinstallation de 32.000 réfugiés arrivés en Grèce et en Italie au printemps, a finalement été conclu mais n’est toujours pas mis en oeuvre.

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