Empruntant le nom d’illustres explorateurs norvégiens, les Roald Amundsen et Fridtjof Nansen étalent déjà leur silhouette noire, rouge et blanche au pied de collines enneigées dans les chantiers navals Kleven à Ulsteinvik (ouest).
À l’intérieur des imposantes carcasses, des dizaines d’ouvriers s’activent pour aménager les navires qui, promet leur propriétaire, réduiront de 20% les émissions par rapport à un bateau classique.
« Notre ambition est d’arriver à zéro émission », explique à l’AFP Daniel Skjeldam, directeur général de la compagnie Hurtigruten, spécialisée dans les croisières d’exploration, notamment dans l’Arctique et l’Antarctique.
« Nous n’y sommes pas encore car la technologie disponible ne le permet pas mais c’est un énorme pas en avant. Ces navires sont aussi avancés qu’ils peuvent l’être pour ce genre d’opérations autour des pôles », affirme-t-il.
D’une capacité de 530 lits chacun, les deux bateaux doivent être livrés, avec quelques mois de retard, aux premier et troisième trimestres.
Dans leurs entrailles, un mur de batteries viendra compléter les quatre moteurs diesel par « écrêtement des pointes », un peu comme une Prius, voiture hybride de Toyota.
« Même si nous sommes stationnaires sur un site à observer des pingouins, parfois nous avons besoin d’énergie pour nous éloigner de la glace de mer ou positionner le navire face au vent », déchiffre Ivar Pedersen, électricien à bord du Roald Amundsen.
« Plutôt que démarrer un des moteurs diesel, les batteries fourniront la juste puissance nécessaire », indique-t-il.
– « Une mauvaise nouvelle » –
En ces temps d’urgence climatique et d’éveil des consciences environnementales, l’avancée peut sembler anodine mais elle est saluée par des ONG comme la Fondation Bellona, associée au projet.
« C’est un très grand pas en avant pour la technologie maritime, non pas parce que chaque composant ici est unique mais car la taille du projet montre que cela peut être appliqué à grande échelle sur de gros bateaux », estime Sigurd Enge.
« Il y a dix ans, personne ne pensait que l’électricité pourrait faire avancer autre chose qu’un bateau jouet dans une baignoire », ajoute cet expert du transport maritime et de l’Arctique chez Bellona.
Tous ne partagent pas cet enthousiasme.
« Le charme de la batterie au lithium est un argument publicitaire qui masque les risques technologiques », estime Jacky Bonnemains, de l’ONG française Robin des Bois, en faisant valoir les risques d’incendie impromptu dans des régions polaires isolées.
Certes, les batteries permettront aussi, en théorie, aux navires de Hurtigruten de se déplacer en générant moins de pollution, de bruit et de vibrations pour la faune locale.
Mais, « c’est d’une certaine manière une mauvaise nouvelle parce que les armateurs et leurs clients vont se croire autorisés à être de plus en plus intrusifs et indiscrets », note M. Bonnemains.
– Serrage de vis –
À ce jour, la croisière fait figure de mauvais élève, tant pour son impact climatique que pour la pollution atmosphérique.
Selon l’organisation allemande de défense de l’environnement Nabu, un paquebot de taille moyenne alimenté au fioul lourd consomme jusqu’à 150 tonnes de carburant par jour et émet plus de particules fines qu’un million de voitures.
Or, ce carburant peu onéreux reste la règle pour les grands armateurs, même pour leurs nouveaux paquebots, sauf très rares exceptions.
S’il est interdit depuis plusieurs années dans l’Antarctique, le fuel lourd ne l’est toujours pas dans l’Arctique.
« Dans l’Arctique, les émissions de particules fines (noir de carbone/suie) sont particulièrement critiques car elles retombent sur la glace et la neige, accélèrent leur fonte et accentuent donc le changement climatique local », note M. Enge.
Face à la lenteur des progrès dans le secteur de la croisière, les autorités réagissent.
En France, la justice a pour la première fois condamné en novembre la compagnie américaine Carnival et l’un de ses capitaines à une amende de 100.000 euros. Motif? La teneur en soufre trop élevée du carburant du paquebot Azura lors d’une escale à Marseille.
De son côté, la Norvège a décidé d’ici 2026 de réserver exclusivement aux navires de croisière et ferries « zéro émission » l’accès de ses célèbres fjords classés au patrimoine mondial de l’Unesco.
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