En Bretagne, la filière cosmétique surfe sur les algues

Dans l’usine de l’entreprise Technature au Relecq-Kerhuon, près de Brest, un liquide à base d’extraits d’algues rouges est gélifié au bain-marie.

Passé sous un tunnel de refroidissement, le gel translucide se consolide, une machine l’étire pour former deux trous et le produit fini apparaît: un masque contour des yeux pour le compte d’une célèbre marque française de cosmétiques.

Technature développe, fabrique et conditionne des masques, crèmes et autres lotions exclusivement sous marque blanche, c’est-à-dire qu’ils sont commercialisés sous le nom de de ses clients: plus de 1.500 marques dans 50 pays aujourd’hui, jusqu’en Asie.

Comme d’autres entreprises de cosmétiques bretonnes, la société a démarré à la fin des années 1990 en tant que fournisseur d’actifs marins pour les centres de thalassothérapie et spas de la région, avant d’étoffer sa gamme et d’étendre son offre à l’industrie cosmétique.

« Le secteur de la cosmétique bretonne est particulièrement dynamique en ce moment », se réjouit Pierre Morvan, le directeur de l’entreprise. « Les fondations viennent de la cosmétique marine, mais maintenant on ne se limite plus à cela et on utilise nos technologies pour servir l’ensemble du secteur ».

– Plus de 700 espèces en Bretagne –

La filière bretonne compte aujourd’hui près de 170 entreprises, totalisant quelque 6.000 salariés et représentant un chiffre d’affaires total de 1,8 milliard d’euros, selon des données de CBB Capbiotek, centre de transfert de biotechnologies basé à Rennes.

Cependant en excluant le géant Yves Rocher, basé dans le Morbihan, le secteur régional tombe à 2.600 salariés pour un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros, avec un taux moyen d’export de 40%, toujours selon Capbiotek.

« Sans la présence d’Yves Rocher, on n’aurait pas autant de fournisseurs d’ingrédients et d’emballages en Bretagne » pour l’industrie cosmétique, explique Roland Conanec, directeur adjoint de Capbiotek.

Mais comme Yves Rocher a mis l’accent sur les végétaux terrestres, la cosmétique marine en Bretagne est longtemps restée cantonnée au niveau local, observe-t-il.

La France est le deuxième pays producteur d’algues à l’échelle européenne derrière la Norvège, avec environ 90.000 tonnes de macro-algues récoltées par an en milieu naturel (en mer ou sur le rivage). L’immense majorité de la production française provient de Bretagne, où coexistent plus de 700 espèces.

En termes de volumes, la cosmétique n’utilise que des quantités infimes d’algues par rapport à d’autres débouchés comme l’agroalimentaire, l’alimentation animale et le compostage.

Et en cosmétique « on ne travaille qu’avec une quinzaine d’espèces » pour l’heure, souligne Eric Guivarch, directeur de la recherche-développement chez l’entreprise finistérienne Agrimer/Bretagne Cosmétiques Marins.

– L’algoculture encore balbutiante –

A la station biologique de Roscoff, petit port du Finistère Nord, les programmes et contrats de recherche abondent sur les algues marines, notamment du fait de l’intérêt croissant de l’industrie cosmétique mondiale.

« On a des demandes sur l’innovation beaucoup plus importantes qu’auparavant, car les entreprises cherchent à se différencier les unes des autres », se félicite Philippe Potin, directeur de recherche CNRS à la station de Roscoff.

L’un des principaux freins au développement de la filière cosmétique bretonne, c’est son manque de marques connues du grand public, au-delà de circuits professionnels. « Or la valeur ajoutée est souvent faite dans la marque », relève M. Conanec de Capbiotek.

Quant à l’algoculture, la culture industrielle d’algues dans des bassins en mer ou sur terre, la Bretagne « n’en est qu’aux balbutiements ». Elle serait pourtant nécessaire « pour éviter que la production soit soumise aux aléas climatiques et aux variations de composition en principes actifs », estime encore M. Conanec.

« Développer l’algoculture en mer, ça ne plaît pas à tout le monde, notamment aux pêcheurs et aux plaisanciers », glisse M. Guivarch d’Agrimer.

« Sur terre c’est possible, mais il y a d’autres contraintes: gérer l’arrivée d’eau, avoir suffisamment d’espace disponible et maîtriser des cycles de reproduction qui peuvent être extrêmement compliqués chez certaines espèces », énumère-t-il.

Or, « une entreprise de cosmétiques, elle ne veut pas nous financer des études sur le sexe des algues brunes », lance le chercheur Philippe Potin. « Elle veut de la science appliquée ».

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