En Italie, l’Etat met au pas le marché opaque des plages privées

Rome, 10 juin 2022 (AFP) – Une hérésie pour les touristes, une réalité pour les Italiens depuis des décennies: la moitié des plages du pays sont privées, exploitées dans la plus grande opacité. Pressé par Bruxelles, le gouvernement de Mario Draghi a décidé d’y mettre de l’ordre.

Des côtes de Ligurie aux baies de Sardaigne, il faut parfois chercher longtemps pour trouver une langue de sable dont l’accès soit libre et gratuit. Ailleurs, un parasol et deux chaises longues coûtent jusqu’à 100 euros par jour, selon l’association des consommateurs Codacons.

Les concessions accordées aux établissements balnéaires, à vil prix et en vertu de critères obscurs, sont renouvelées automatiquement depuis 1992. Résultat: un gros manque à gagner pour l’Etat, une absence totale de concurrence, un clientélisme systémique, l’infiltration d’organisations mafieuses.

L’agence italienne qui gère les biens confisqués à la criminalité organisée (ANBSC) a ainsi lancé en mai un appel d’offres public pour la gestion d’un établissement balnéaire saisi, le Lido Calajunco, situé en Calabre, la terre de la mafia ‘Ndrangheta.

Mais les choses vont changer. Une mini-révolution dans un pays où le tourisme représente 13% du PIB si on inclut les revenus indirects du secteur.

A partir du 1er janvier 2024, ces concessions seront délivrées à l’issue d’un appel d’offres public qui doit être organisé en 2023. Le Sénat italien a récemment adopté une loi en ce sens, dont le gouvernement de Mario Draghi doit adopter les décrets d’application d’ici la fin de l’année.

Le concessionnaire qui obtiendra le droit d’exploiter un bout de plage avec un établissement balnéaire existant mais ne lui appartenant pas, devra dédommager le concessionnaire sortant.

Selon quels critères? Pour quel montant? Le gouvernement n’a pas encore tranché.

Une incertitude « inacceptable », selon Maurizio Rustignoli, président de Fiba-Confesercenti, un syndicat des gérants d’établissements balnéaires.

Pour Fabio Di Vilio, 38 ans, un gérant de l’établissement La Scialuppa à Fregene, sur le littoral romain, « cette loi pourrait être juste si elle était appliquée avec intelligence en donnant des garanties à ceux qui historiquement ont tenu la concession ».

M. di Vilio est la troisième génération d’entrepreneurs qui gèrent cet établissement depuis 1960.

« Les concessions doivent être payées au prix juste (…) mais ça doit aussi être fait avec une certaine logique, donnant des paramètres pour qu’on puisse savoir à quoi s’en tenir », ajoute-t-il.

– Peu de plages libres –

Plus de 12.000 concessions se partagent 50% des plages sur les 7.500 km de côtes maritimes italiennes, selon les statistiques officielles.

A Fregene, les établissements occupent une grande partie de la plage. Certes il faut payer, mais les Italiens y sont habitués et surtout ils apprécient que le lieu soit propre, nettoyé par le personnel des concessions.

« Ce serait certainement une bonne chose s’il y avait plus de plages libres, à condition que cela ne devienne pas, comme on le voit souvent, une décharge. Elles devraient être contrôlées, avoir des poubelles pour les ordures », dit ainsi un client de La Scialuppa, Luca Siciliano, pédiatre à la retraite de 71 ans, en prenant le soleil.

Autre problème soulevé par Bruxelles: les gérants de concessions pratiquent des tarifs élevés alors que leur redevance, elle, reste ridiculement basse, l’Etat italien n’en tirant que quelque 100 millions d’euros par an.

Sur le papier, le prix minimum pour une redevance est de 2.500 euros par an depuis 2021. La réalité est bien différente. A titre d’exemple, en 2020, les 59 concessions de la commune d’Arzachena située sur la très chic Côte d’Emeraude en Sardaigne, ont rapporté à l’Etat 19.000 euros, soit en moyenne 322 euros par an et par concession, affirme le quotidien Il Fatto Quotidiano.

Selon ce même journal, près de 6.000 établissements balnéaires suivis par le ministère de l’Economie et des Finances ont déclaré des revenus moyens d’environ 180.000 euros par an, avec d’importants écarts d’un établissement à l’autre, mais pour le fisc les deux tiers n’ont pas déclaré tous leurs revenus.

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