Les images de poissons à l’agonie, la bouche pratiquement hors de l’eau pour tenter d’aspirer un peu d’air tandis que leurs congénères morts s’entassent par milliers dans des paniers sur le sable, ont fait la une des médias espagnols.
Lundi, au septième jour de l’hécatombe, les autorités régionales estimaient la quantité récupérée à 4,5 à 5 tonnes, mais les poissons morts ont continué à apparaître depuis.
« La plus grave mortalité de faune de l’histoire connue de la mer Mineure n’est pas terminée », a affirmé mercredi dans un tweet le Fonds mondial pour la nature (WWF).
Avec une superficie de 135 km³, la mer Mineure est l’une des plus grandes lagunes salées de Méditerranée, dont elle est séparée par un banc de sable de 22 km de long.
Sa profondeur maximale est de sept mètres.
« La situation est dramatique », résume pour l’AFP le président de l’Association de naturalistes du Sud-Est (ANSE), Pedro Garcia, parlant d’une « ruée » de touristes hors de la zone, tout en estimant que le nombre de poissons morts pourrait atteindre le double de celui donné par les autorités.
« Cela fait trois ans que je ne peux pas me baigner, il y a une puanteur horrible », s’est plainte une femme sur la plage à la télévision publique TVE.
– Prolifération d’algues –
Selon les scientifiques, la principale cause du manque subit d’oxygène est l’arrivée dans la lagune de centaines de tonnes de nitrates utilisés comme fertilisants par l’agriculture intensive.
Les engrais stimulent la croissance d’algues (phytoplancton), qui forment à la surface une couche verte ou marron empêchant la lumière d’atteindre le fond, tuent la végétation du fond marin, et réduisent la quantité d’oxygène lorsqu’elles meurent puis se décomposent.
Ces algues vertes créent ainsi des zones sans oxygène étouffant l’écosystème aquatique, un phénomène appelé « eutrophisation », qui est amené à se développer en raison du réchauffement climatique, selon les scientifiques.
La ministre de la Transition écologique, la socialiste Teresa Ribera, qui s’est rendue sur place mercredi, a accusé le gouvernement régional, aux mains du Parti populaire (droite), de fermer les yeux sur des pratiques agricoles illégales.
« Il n’est plus possible de dissimuler. Il faut regarder les choses en face », a-t-elle lancé lors d’une conférence de presse, rappelant que la zone compte « 8.000 hectares sans autorisation d’irrigation, sur lesquels sont pratiqués des pompages illégaux d’eau et qui utilisent un volume d’eau bien supérieur à celui autorisé ».
– « Fuite » des vacanciers –
Les agriculteurs disent se sentir injustement accusés.
« Ils font du mal à un secteur qui respecte scrupuleusement toute la législation », a déclaré à l’AFP Vicente Carrion, président de la branche locale du syndicat agricole COAG.
Mais le Collège officiel de biologistes de la région de Murcie est catégorique: le déversement de nitrates « explique, sans l’ombre d’un doute, la crise eutrophique actuelle, avec pour conséquences la mortalité animale élevée, la mauvaise odeur et la couleur trouble de l’eau de la lagune ».
En 2019, la mer Mineure avait déjà vécu un épisode similaire, mais les poissons morts avaient été moins nombreux (environ trois tonnes).
Pour Pedro Garcia, la pollution de l’eau par les nitrates est le principal problème, mais pas le seul: « le nombre excessif de ports nautiques, la destruction de la côte avec la construction de lotissements, l’arrivée de grandes quantités de sédiments minéraux » jouent aussi un rôle.
« C’est un paysage très altéré » et le coût économique de la crise « est brutal, la fuite des vacanciers a été énorme », ajoute-t-il.
La vague de chaleur de la mi-août n’a pas aidé les poissons, selon l’Institut espagnol d’océanographie: l’eutrophisation « diminue leur capacité de résistance aux altérations provoquées par le stress thermique d’une vague de chaleur ou par un autre facteur ».