« J’ai fait ma première récolte de poissons en janvier avec 1.121 individus d’un poids moyen de 277 grammes que j’ai vendus et j’en referai dans les prochains jours », affirme Serigne Fallou Ndao, debout devant ses cinq étangs creusés à Moundop, au bord du fleuve Sénégal, pour élever des tilapias.
Sur la piste en latérite menant vers ce site de la vallée du fleuve, les casiers rizicoles sont les principaux aménagements agricoles.
« Je fais du riz et du maraîchage mais, depuis 2009, je l’associe à la pisciculture qui est plus rentable que l’agriculture », affirme M. Ndao, peu loquace sur ses revenus.
Sur le site voisin de Maraye, des ouvriers construisent des bassins en béton et creusent des étangs, au milieu du bruit des engins de terrassement.
« Nous aménageons le plus grand site de pisciculture du Sénégal, sur 25 hectares, pour sélectionner 50 promoteurs privés et démarrer la production en juillet », dit Abdoulaye Ngom, de l’Agence nationale d’insertion et le développement agricole.
Les sites de Moundop et Maraye sont approvisionnés en « semences » (larves et alevins) à partir de la ville de Richard-Toll, qui abrite la principale station piscicole du pays.
« Le Sénégal est devenu autosuffisant en géniteurs et chaque année, 50.000 à 100.000 individus servent à renouveler le stock » pour alimenter en semence les zones piscicoles du nord, du centre et du sud du pays, affirme Théophile Diouf, chef du bureau de Richard-Toll, rattaché à l’Agence nationale d’aquaculture (ANA) du ministère de l’Environnement.
Après de premières expériences dans les années 1980, l’ANA a été créée en 2006 pour créer des emplois dans la pisciculture. « Le tilapia et le poisson-chat, deux espèces locales robustes et faciles à élever, ont été choisis » , souligne Mamadou Sène, expert à l’ANA.
« Poisson rare et cher »
« Le poisson est devenu rare et cher au Sénégal, mais notre pays a des potentialités pour la pisciculture avec quatre fleuves, 700 km de côtes maritimes et des eaux chaudes. Les demandes de création de fermes piscicoles se multiplient », de la part de paysans et de pêcheurs, affirme-t-il.
D’une dizaine de tonnes avant 2008, la production de poisson d’élevage est officiellement passée à 321 tonnes en 2012 et l’objectif est d’avoir 10.000 tonnes en 2018.
Ce volume est loin des 436.000 tonnes pêchées en 2011 en mer mais, depuis plusieurs années, les ressources sont surexploitées, notamment par les flottilles étrangères, et des espèces comme le mérou sont menacées d’extinction, selon des chercheurs.
Faute de poisson, des familles ont de plus en plus de difficultés pour préparer le « tiep bou dieune », le riz au poisson en langue wolof, un des principaux plats nationaux.
Selon les spécialistes, beaucoup de poissons consommés par les Sénégalais sont pêchés en Mauritanie et en Guinée-Bissau voisines, et les pêcheurs doivent aller de plus en plus loin pour en trouver.
Dans la zone du fleuve Sénégal, « beaucoup de pêcheurs se sont convertis en éleveurs » de poissons à cause de la baisse des captures, affirme Théophile Diouf.
« Nous n’avons plus de poissons depuis la construction des barrages » sur le fleuve Sénégal dans les années 1980, « des plantes ont envahi les plans d’eau, gênent les pirogues et la pose des filets », affirme Ousmane Guèye, pêcheur à Richard-Toll qui élève maintenant des poissons dans des cages flottantes.
Mais, malgré son intérêt grandissant, la pisciculture a ses « contraintes, dont l’accès à la terre et au crédit. En plus, il n’y a pas au Sénégal d’entreprise spécialisée dans la production d’aliments pour poisson. On est obligé d’en importer », dit M. Sène.
De l’aliment local est produit en faible quantité à partir de son de riz et de mil, de tourteaux d’arachide et de la farine de poissons, dit M. Diouf.
Serigne Fallou Ndao appelle à « un meilleur encadrement des éleveurs » privés, actuellement appuyés par l’ANA et des organismes comme la FAO, et à « des formations sur les techniques d’élevage. « Je veux récolter », dit-il, « mais je n’ai pas de moyens pour savoir la taille de mes poissons ».