Depuis novembre et un premier vote au Parlement européen, l’idée d’interdire cette pratique pour la flotte de l’UE semblait avoir fait long feu, contrairement au souhait de la Commission européenne, en pointe sur la lutte pour une pêche durable.
Les eurodéputés se dirigeaient ainsi vers un encadrement du chalutage profond, protégeant les écosystèmes les plus vulnérables, mais censé ménager aussi les pêcheurs. Et le dossier semblait voué à s’enliser sous la pression des trois pays assurant 90% de l’activité, France Espagne et Portugal.
C’était sans compter avec l’obstination des défenseurs des abysses, emmenés par Claire Nouvian, ex-auteure de documentaires animaliers et passionaria autoproclamée des grands fonds à la tête depuis 2004 de son association Bloom.
BD pro-abysses
Dénonçant une pêche aussi destructrice que non-rentable, Bloom a rallié à sa campagne la dessinatrice française Pénélope Bagieu, qui a croqué son argumentaire en BD.
Pour les écologiques, soutenus en l’espèce par le plus gros de la communauté scientifique, le recours aux chaluts et filets maillants a le double inconvénient de laminer les fonds, et leurs précieux coraux et éponges, et de menacer d’extinction nombre d’espèces.
Car au côté de la poignée de poissons commercialisées –sabre noir, grenadier de roche, et lingue bleue– cette technique piége une centaine d’espèces, souvent fragiles et qui seront finalement rejetées en mer.
En moins d’une semaine, le plaidoyer pro-abysses de Pénélope Bagieu a créé le buzz et submergé la toile, rameutant au final près de 700.000 pétitionnaires en faveur de l’interdiction.
La pétition a été remise la semaine dernière à l’Elysée, appelé à désavouer le ministre de la Pêche, Frédéric Cuvillier. Maire de Boulogne sur Mer, l’un des ports concernés avec Lorient, ce dernier avait brandi en 2012 la menace d’une perte de près de 500 emplois si le chalutage profond devait être banni.
Bataille au Parlement
L’industrie française de la pêche chiffre pour sa part à quelque 3.000 les emplois remis en cause. Faux rétorque Bloom, pour qui seuls une dizaine de bateaux européens sont concernés, dont neuf français et six contrôlés par le groupe Intermarché, la pratique du chalutage profond ne représentant que 1,4% des prises de l’UE dans l’Atlantique nord-est.
Dans le sillage de cette mobilisation, le groupe des Verts a décidé de camper sur le principe d’une interdiction. Un vote favorable en plénière constituerait un désaveu pour la commission pêche du Parlement européen.
La proposition des Verts a reçu le soutien de l’extrême-gauche et d’eurodéputés de tous les autres groupes, socialistes, libéraux et conservateurs, et « nous espérons décrocher une majorité », a affirmé Mme Nouvian à l’AFP.
Mais la bataille s’annonce rude jusqu’au dernier moment avec les parlementaires, surtout français et espagnols, pour qui cette technique de pêche n’a besoin que d’être mieux encadrée.
Dans ce camp, au côté de son compatriote conservateur breton Alain Cadec, la socialiste Isabelle Thomas avait jugé que le rejet de l’interdiction par la commission pêche était une « preuve de sagesse », prenant en compte « la dimension sociale » du problème.
Le patron de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), Patrick Vincent, a toutefois affaibli entretemps l’argumentaire des défenseurs de cette pêche. Prenant le contrepied de ce qu’une étude de son institut semblait jusque là avancer, il a expliqué lors d’une audition à l’assemblée nationale qu’en l’état, les connaissances scientifiques ne pouvaient pas garantir la durabilité de la pêche profonde.