Auparavant « l’eau était beaucoup plus loin », se souvient Delano Mariwagoe, quadragénaire rencontré près de la plage des Hattes, étroite bande de sable à l’embouchure du fleuve Maroni, la seule de l’ouest guyanais.
« Maintenant, elle arrive sur le parking lors des grandes marées », poursuit-il en montrant du doigt cette eau particulièrement trouble.
L’érosion du littoral guyanais connaît une forte accélération dans ce secteur. Antoine Gardel, chercheur au CNRS, spécialiste des questions de géomorphologie littorale, étudie le phénomène. « On a des taux de recul importants, c’est assez exceptionnel », analyse-t-il.
En cause : un banc de vase, arrivé par l’est. De l’autre côté, l’embouchure du Maroni produit un effet de chasse et bloque ce banc. « Il ne peut pas continuer sa migration et protéger la plage », explique Antoine Gardel. La houle vient donc frapper directement la plage et grignoter le sable.
Impossible pour ce chercheur de quantifier la part du changement climatique dans cette érosion rapide, mais il estime que le changement d’intensité de la houle dans l »Atlantique tropical n’y est pas étranger.
– Un risque pour plusieurs familles –
Les élus d’Awala Yalimapo sont préoccupés par ces vagues qui se rapprochent des habitations. Des dizaines de familles sont installées aux abords de la plage. Le maire, Jean-Paul Fereira, pense qu’à « moyen, long terme, il faudra déplacer une partie de la population et réviser le Schéma d’Aménagement Régional ».
Des bancs, des carbets (huttes sans murs servant d’abri, NDLR), un plateau sportif installés en bord de plage ont déjà été démontés pour empêcher qu’ils soient emportés. Un poste EDF subira le même sort.
Le problème revêt aussi une dimension historique. Les Amérindiens Kali’na qui habitent la commune font partie d’une population autrefois nomade qui s’installait dans les estuaires. L’ouverture d’écoles, de dispensaires, mais aussi la départementalisation en 1946, ont mis fin au nomadisme. « La sédentarisation n’est pas compatible avec ces aléas », souligne Jean-Paul Fereira, qui se souvient que « dans les années 1980, une école construite près de la plage contre l’avis de la population a dû être abandonnée car sujette à l’érosion ».
Toutefois, la lenteur du phénomène actuel ne menace pas la vie des habitants, rassure Antoine Gardel. En revanche, il est impossible de dire combien de temps il durera. Pour retrouver un équilibre, il faut attendre que le banc de vase parte, mais celui-ci, de taille moyenne, contient environ 2,5 milliards de mètres cube de vase, selon les calculs du chercheur.
– « Tortues luths «
La faune aussi est gênée par cette érosion. La plage des Hattes est prisée par les tortues luths qui viennent y pondre de février à août. Pour ces reptiles, déjà menacés par la pollution en mer, le braconnage, la prédation des nids…, cette érosion accélérée constitue un obstacle de plus. « C’est une menace qu’on observe souvent, explique Naomi Soudry, chargée de communication du Réseau Tortues Marines, car le littoral guyanais est très dynamique », mais l’importance du retrait de plage à Awala Yalimapo l’inquiète beaucoup.
L’érosion a parfois d’étranges conséquences : elle a mis au jour les restes d’un sémaphore dont personne ne se souvenait. Resté au bord de la plage, Delano Mariwagoe, lui, déplore la chute d’un cocotier, récemment déraciné par l’assaut des vagues. Un arbre symbolique qui servait à l’épreuve du grimpé de cocotier, lors des jeux kali’na, une manifestation sportive qui attire chaque année plusieurs milliers de personnes dans la commune.
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