Jérémy Fuchs, pêcheur du Rhin et philosophe en biodiversité

Fessenheim (France), 23 juin 2023 (AFP) – Il est sur le Rhin le seul Français à ne vivre que de sa pêche. Un job à plein temps, qui ne rend pas milliardaire, mais qu’il exerce avec « une philosophie »: convaincre les consommateurs de renouer avec les poissons d’eau douce, au nom de la biodiversité.

Il est 05h00 du matin et Jérémy Fuchs remonte ses filets à Niffer, près de Mulhouse, à l’endroit où le canal venu du Rhône se connecte au Rhin. La rive allemande est à 500 mètres.

Dans l’aube tiède d’un matin d’été, sa petite barque en aluminium glisse silencieusement mais la récolte n’est pas bonne dans ses 200 mètres de filets tendus le long des berges. « On va pas manger à midi, dites donc ».

A cette heure-là, les pêcheurs ne se bousculent pas et Jérémy Fuchs est le seul de son espèce dans le grand fleuve européen: un professionnel qui s’acquitte d’un droit de pêche à l’Etat français et vit entièrement de son activité. « Il y en a deux autres en Alsace, mais ce n’est pas leur seul métier ».

Un travail compliqué par le changement climatique: ces deux derniers étés, le Rhin n’avait plus rien de romantique, entre la crue de juillet 2021 (près de 200 morts en Allemagne), puis la sécheresse de 2022 qui a perturbé la navigation.

Jérémy Fuchs est aux premières loges: la crue a emporté une partie de son matériel de pêche.

– Silure dans le viseur –

Mais le bouleversement climatique, il le ressent « plus dans la baisse de diversité du poisson qu’au niveau quantité ». Un coupable: le silure, gros poisson qui colonise depuis des années les rivières de l’Hexagone en dévorant les plus petits que lui.

« Il commence à se plaire de plus en plus avec l’eau qui se réchauffe: il arrive à se reproduire au-delà de 20 degrés », explique-t-il.

Avec l’été en avance, l’eau du Rhin taquine ces jours-ci les 23 degrés… et le silure représente désormais à lui-seul 20% des prises: « C’est énorme. Les carnassiers, normalement, ce n’est pas plus de 10% à 15% du total ».

Même si la ressource ne se bouscule pas, ce grand garçon de 36 ans ne renoncera pas à démarrer tous les jours à 04h00: « Si on commence à compter ses heures, c’est même plus la peine de se lever ».

Après le chou blanc à Niffer, il remonte son embarcation, l’attache à sa fourgonnette et descend le fleuve sur une vingtaine de kilomètres, jusqu’à Fessenheim, où la chance lui sourit: quatre belles carpes d’environ huit kilos aux reflets dorés se sont prises dans ses filets pendant la nuit, au pied du barrage hydro-électrique.

« Sois gentille », dit-il à l’une des carpes qui se débat sur ses genoux alors qu’il la retire des mailles. « C’est pas tous les poissons qui finissent dans des restos étoilés ».

– « Humble pêcheur » –

Bilan du jour: environ 30 kilos de poisson récupérés avant 07h00, soit la fourchette basse des prises quotidiennes de l’Alsacien, qui prélève six tonnes de poisson par an, pour un chiffre d’affaires de plus de 60.000 euros.

Une fois remboursés les emprunts, « je me verse un salaire de 800 euros par mois », précise-t-il à l’AFP.

Jérémy a repris en 2020 l’activité de son prédécesseur… auprès de qui il avait effectué son stage de seconde. Après des diplômes en agriculture et environnement et un début de carrière comme vendeur de panneaux solaires puis ouvrier viticole, il a renoué avec la pêche pour être son propre patron.

« Je suis un humble pêcheur à Bac+3 », résume-t-il.

Sa raison d’être: redonner le goût du poisson d’eau douce dans un monde dominé d’après lui par le « lobby marin ». Alors que le poisson de rivière est boudé par ses contemporains à cause de ses arêtes, Jérémy Fuchs leur facilite la tâche en les mettant lui-même en tourtes, qu’il vend dans les supermarchés du coin.

D’autres de ses poissons sont rachetés par des restaurants gastronomiques.

« Si tout le monde mange un peu de tout, la planète arrivera mieux à s’en sortir », espère-t-il.

A proximité de la centrale nucléaire de Fessenheim, en plein démantèlement, et du complexe chimique de Chalampé, où une explosion a eu lieu courant juin, le pêcheur redoute avant tout « une catastrophe liée à l’homme, un nouveau Sandoz ».

En 1986, une explosion à l’usine Sandoz près de Bâle (Suisse) avait entraîné le déversement de produits agrochimiques dans le Rhin. Tous les poissons étaient morts sur 400 kilomètres en aval.

« L’homme dit qu’il maîtrise, mais il ne maîtrise rien. »

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