Avant de se pendre, Philippe Deruy, 47 ans, avait adressé à ses collègues un message dans lequel il justifiait son geste par le traitement que lui avait réservé la compagnie après cet accident en mer.
Le 23 décembre 2010, le porte-conteneur « La Pérouse » qu’il commandait était entré en collision avec un caboteur au large des Pays-Bas, sans faire de blessé ni entraîner de pollution. Les travaux qui avaient suivi avaient coûté 720.000 euros.
Le jeune lieutenant à la barre au moment de ce fait de mer avait reconnu sa faute de navigation et proposé une rupture conventionnelle de son contrat. Philippe Deruy, qui était alors dans sa cabine pour préparer l’arrivée à Hambourg, s’était rapidement retrouvé au centre de jeux d’influence au sein de la direction de l’armement.
Estimant qu’un commandant est responsable quoi qu’il arrive de son navire, le PDG de la CMA-CGM Jacques Saadé et le directeur de la filiale CMA Ships souhaitaient, dans un premier temps, le renvoi du commandant Deruy.
A l’inverse, en l’absence de faute personnelle retenue par la commission d’enquête interne et en raison d’un état de services élogieux, toute une partie de l’état-major de la compagnie l’avait soutenu.
Le commandant avait vécu comme une sanction déguisée son débarquement du « La Pérouse » et la proposition de se consacrer temporairement à la formation des officiers à terre.
Cinq jours avant son suicide, il devait rencontrer Jacques Saadé pour s’expliquer mais le PDG de la compagnie ne l’avait finalement pas reçu. C’est le directeur de CMA Ships qui lui avait fait part de sa mission à terre.
« Leurs arguments pitoyables m’ont achevé moralement. Il espérait tellement que je prononce le mot démission. Je n’ai plus d’avenir et cela m’est insupportable… alors je fais ce qu’ils espèrent tant… disparaitre », avait-il écrit dans son dernier message.
« En prenant à son encontre des mesures s’apparentant à des sanctions disciplinaires (…) et en négligeant de respecter la procédure disciplinaire qui lui aurait donné la possibilité d’être entendu », la CMA-CGM a pu avoir involontairement causé la mort de Philippe Deruy, avait considéré la juge d’instruction saisie après une plainte de ses proches.
« On est allé trop vite en rattachant son suicide à la façon dont son dossier a été traité. Les mesures adoptées ne sont en rien des sanctions disciplinaires », estime pour sa part l’avocat de la CMA-CGM Michel Moatti, rappelant que le parquet de Marseille avait requis un non-lieu pour la compagnie.