Ce ne serait qu’une conséquence parmi d’autres d’un Brexit sans accord mais elle est loin d’être anodine pour le Royaume-Uni, passionné d’hippisme, comme pour ses voisins français et irlandais. « Le vrai sujet, ce ne sont pas les vaches, ce sont les chevaux », a ainsi posé le coordinateur national pour la préparation du Brexit Vincent Pourquery de Boisserin.
Aux courses de Cheltenham, mi-mars en Angleterre, « les chevaux entraînés en Irlande qui concourent l’ont dans une large mesure été par des petits éleveurs », avait expliqué à l’AFP l’ancienne ministre de l’Europe d’Irlande, Lucinda Creighton. Pour ces professionnels disposant de marges « réduites, les retards et coûts supplémentaires en transport et logistique posent problème ».
Pour Henri Bozo, manager de l’écurie des Monceaux dont « au bas mot 30% des poulinières partent en Angleterre pour être saillies », le sujet « est une inquiétude ». Le docteur Paul-Marie Gadot, de France Galop, parle même d’une « catastrophe annoncée »: « 25.000 chevaux de course et d’élevage se déplacent chaque année » entre Royaume-Uni, France et Irlande, explique ce spécialiste de la société organisatrice des courses nationales de plat et obstacle.
– Accord tripartite –
Outre les saillies, il y a les concours et les ventes de yearlings (jeunes pur-sangs, ndlr) en Angleterre, auxquels le Haras des Capucines (Orne) de Eric Puerari, par exemple, envoie « de temps en temps » des étalons.
L’activité est aux yeux de France Galop « tout à fait stratégique » pour la filière équine, qui pèse près de 47.000 emplois en France, selon le Réseau Economique de la Filière Equine.
Un accord tripartite régit le transfert des animaux faisant le déplacement, permettant « un passage extrêmement facilité », avec un contrôle au départ et un autre après le transfert.
Avec le Brexit, les équidés risqueraient d’être immobilisés à la frontière. Très embêtant, s’ils sont transférés le matin pour une épreuve sportive le même jour.
« Les très bons chevaux qui vont courir sont transportés dans des vans un peu importants, ils peuvent bouger, se coucher, presque comme dans un box », détaille à l’AFP Alain de Royer-Dupré, l’entraîneur des chevaux de l’Aga Khan. « Dans ces conditions, c’est moins grave. Mais au delà d’un transport de 6 ou 7 heures, ça peut compromettre sa performance ».
– « Aucune capacité de contrôle » –
Le rétablissement de contrôles à la frontière pourrait aussi poser des problèmes dans le domaine de l’élevage: coûts supplémentaires possibles et « on craint des files interminables, avec nos juments et nos petits poulains qui doivent passer des heures dans les camions », s’inquiète Aliette Forien, la propriétaire du haras de Montaigu à Nonant le Pin, dans l’Orne.
« Ils peuvent s’énerver, il peut y avoir du stress, des problèmes digestifs… Plus on attend, plus c’est mauvais », observe Alain de Royer-Dupré. Sans parler des risques si le cheval doit quitter son van pour un contrôle, sur du bitume par exemple.
Or, lors d’une conférence de presse au sujet du Brexit, le syndicat professionnel des transporteurs et représentants en douane TLF Overseas a averti qu’il y avait « un sujet majeur côté anglais »: « à Douvres, il n’y a aucune capacité de contrôle animalière, et ils n’en ont pas prévu », a expliqué en conférence de presse Olivier Thouard, le « M. Brexit » de l’organisation professionnelle.
En fait, les chevaux sont l’un des objets du bras de fer entre Londres et Bruxelles. « Les Britanniques nous ont fait savoir qu’ils n’étaient pas favorables à faire des contrôles à la frontière pour les chevaux », préférant des conditions plus confortables pour les bêtes, proches de celles en vigueur actuellement, explique Paul-Marie Gadot. Mais à la condition que la réciproque soit vraie.
– « Pays tiers » –
De l’autre côté, l’Union européenne ne compte pas faire de cadeau au pays du Brexit. « En cas de Brexit, les chevaux du Royaume-Uni seront traités comme des chevaux de n’importe quel pays tiers », devant « se soumettre à des contrôles de documents et d’identité, ainsi qu’à des contrôles sanitaires », explique la Commission à l’AFP. Il en irait de même « pour des chevaux français revenant du Royaume-Uni ».
Mais les incertitudes autour de l’avenir des relations britanico-européennes, qui ne sera pas tranché avant le 12 avril, entretiennent le flou: sollicité, le ministère de l’Agriculture français a par exemple décliné une communication officielle, faute d’avoir « tous les éléments ».
Du côté des professionnels, Henri Bozo « pense quand même que le bon sens l’emportera », tout comme Alain de Royer-Dupré: « a priori, les véhicules qui transportent des animaux vivants ont une priorité par rapport aux autres ». Au nom du « bien-être animal », Eric Puerari suggère la mise en place d’un « couloir spécial pour les transferts d’animaux vivants ».
Convaincu que l' »on retrouvera une façon de fonctionner », ce dernier anticipe quand même « des difficultés provisoires » en cas de Brexit sans accord. « Personne ne sait très bien comment ça va se passer », abonde Aliette Forien, dont le haras travaille « énormément » avec l’Angleterre et l’Irlande. « Mais c’est sûr que ça se passera moins bien que maintenant ».
clc-pi-it-cda/nth