Coulée par la concurrence asiatique, la Normed (Société des chantiers du Nord et de la Méditerranée) était exsangue. Les portiques de levage surplombant le port étaient voués à la ferraille et les promoteurs lorgnaient sur les 36 hectares de terrain désertés, rêvant de complexe touristique et de marina.
Fin 2017, le chantier naval est toujours là, grâce aux « 105 » de la CGT, qui ont occupé le site jusqu’en 1994. Mais les 3.500 salariés de 1987 ne sont plus que 700, au sein des 36 entreprises réunies sur le domaine, géré par La Ciotat Shipyards, nouveau nom de la société d’économie mixte chargée de relancer le site. Et les ouvriers et ingénieurs ne construisent plus de pétroliers, de méthaniers ou de porte-conteneurs: ils s’affairent, en gants blancs ou presque, autour des palaces flottants des milliardaires.
« Ici, on ne construit plus ou presque, on fait surtout de l’entretien ou du +refit+, ces travaux de carénage et de relooking nécessaires quand un yacht est rénové », explique à l’AFP Jean-Yves Saussol, directeur général de La Ciotat Shipyards.
Résultat: un chiffre d’affaires global de 120 millions d’euros, avec quelque 100 yachts de plus de 50 mètres en escale à La Ciotat cette année.
« D’ici cinq ans, nous visons un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros, et 900 salariés de plus », ambitionne M. Saussol, soulignant que le coût de maintenance annuel d’un yacht correspond à 10% de son prix d’achat.
– Ascenseur à bateau –
Le marché est porteur, avec 5.500 yachts naviguant dans le monde fin 2016, dont 700 de plus de 50 m et 130 monstres de plus de 80 m, comme le Serene, le 134 m du prince saoudien Mohammed Ben Salmane, lui aussi passé par La Ciotat pour un lifting.
Avec son ascenseur à bateau de 2.000 tonnes, La Ciotat s’est imposé sur le segment des super-yachts, les 50-80 m. Mais le créneau d’avenir, ce sont les méga-yachts, de plus de 80 m: « Il y a 10 ans, ils n’étaient que 10… », souligne Jean-Yves Saussol.
D’où la volonté de La Ciotat Shipyards de continuer à investir, avec un nouvel ascenseur pour bateaux, de 4.000 tonnes cette fois, à l’horizon 2020, pour contrer Barcelone (Espagne) ou Gênes (Italie).
À La Ciotat depuis 19 ans, CompositeWorks fait partie des privés qui vont postuler pour ce projet, aux côtés des actionnaires publics de La Ciotat Shipyards, le département des Bouches-du-Rhône (50%), la région Paca (26%), la Métropole de Marseille (20%) et la ville de La Ciotat (4%): « Actuellement nous refusons des contrats sur des méga-yachts, faute de pouvoir les mettre à sec », explique à l’AFP son directeur anglais, Ben Mennem.
– ‘Un carnage’ –
Premier employeur de La Ciotat Shipyards, avec 110 salariés, CompositeWorks est un des sept chantiers navals présents sur le site, avec notamment Monaco Marine, un autre grand du secteur, ou Nautech, un petit nouveau marseillais.
Mais La Ciotat accueille aussi une trentaine d’entreprises sous-traitantes: électriciens, chaudronniers, selliers, etc… Parmi eux, Yachtelec, une PME dirigée par Rémi Collace, petit-fils d’un ancien ouvrier des chantiers: « Lui, il gérait les pièces pour des pétroliers ou des tankers, nous, c’est les éclairages et la domotique des super-yachts… »
Côté sous-traitants, les chantiers ciotadens visent aussi plus grand, avec un village d’entreprises de 12.000 m2 à partir de 2019 sur les 15 hectares de friches encore disponibles.
« L’objectif, c’est d’être le numéro un mondial irrattrapable d’ici cinq ans », souligne M. Saussol. « A condition que l’Etat ne nous fasse pas de croc-en-jambe », prévient-il, en faisant référence à un décret sur la sécurité sociale des marins en application depuis juillet, qui a fait fuir selon lui de nombreux clients. « Ca a été un carnage », renchérit Nicolas Bruni, directeur général de Nautech: « Sur les quatre derniers mois, nous avons eu trois bateaux, au lieu d’une dizaine l’an passé ».