Une agitation inhabituelle règne ce mardi dans les cuisines du Centre de formation des apprentis de Saint-Jouan-des-Guérets (Ille-et-Vilaine), près de Saint-Malo. Vingt-cinq crêpiers venus de toute la Bretagne, et même au-delà, se succèdent derrière les fourneaux dans une ambiance à la « Top Chef », les téléspectateurs en moins.
Les pâtes, à base de farine de blé noir et de froment, sont préparées à l’avance, pour leur laisser le temps de fermenter (de 4 à 6 heures), et les ingrédients choisis parmi un panier imposé par l’organisation. Les participants au concours du meilleur crêpier de Bretagne sont ensuite évalués selon des critères précis, en cuisine, sur l’hygiène, la technicité ou la gestion du temps, et en salle, sur le dressage, la texture, l’originalité ou le goût.
Des préférences disparates selon le département d’origine des goûteurs. Les Finistériens pencheraient plutôt pour des crêpes « kras », fines et croustillantes. « Il faut qu’elle chante », explique une productrice de cidre et « fille de maître-crêpier » en frottant la lame de son couteau sur la surface de sa crêpe dessert.
Sucrées, salées, classiques, déstructurées… Les assiettes s’enchaînent aussi vite que saturent les estomacs : « Je vais finir par faire une indigestion de mangue », lance l’un. Les commentaires sont intransigeants : « Je me demande s’il aurait le temps de faire la même chose avec cinquante couverts dans sa crêperie ». « C’est excellent, mais on ne voit pas bien le lien entre la crêpe et le produit, celui-là aurait plus sa place dans un restaurant. »
La frontière est de plus en plus ténue entre crêperie et restauration traditionnelle. « On trouvait encore surtout, il y a 15-20 ans, des crêpes basiques, au beurre. Mais les crêpiers de l’après-guerre revendent leurs commerces et une nouvelle génération, formée dans des écoles spécialisées, apporte son savoir-faire et son envie de faire autre chose », analyse Gilles Stéphant, président de la Fédération de la crêperie de Bretagne, organisatrice du concours depuis 2009.
– Un atout commercial –
Plus rentables que les restaurants classiques en raison du coût inférieur de la matière première, les crêperies, qui requièrent également un investissement de départ moindre, attisent les vocations.
Institutrice pendant une dizaine d’années, Tifenn Daniel a renoué avec les crêpes de sa grand-mère en ouvrant l’an passé son Jardin Saint-Germain à Plogastel (Finistère). « Ce concours, en plus de me donner une visibilité, me permet de m’assurer que je n’ai pas fait fausse route », témoigne la candidate aux lunettes rouges assorties aux rayures de sa marinière.
Olivier Lazennec, déjà deux fois médaillé d’argent, vient y chercher « un moment de partage », en plus de « l’adrénaline » de la compétition. Mais son « kig ar farz revisité, avec du cochon de Plougastel élevé en plein air et nourri aux fraises », n’a pas suffi à le hisser à nouveau sur le podium.
Pour la troisième fois après 2009 et 2011, le titre de meilleur crêpier de Bretagne est revenu à… un Normand. Originaire de Pont-Audemer (Eure), Christophe Beuriot est néanmoins installé depuis quatorze ans au Faou (Finistère), à mi-chemin entre Quimper et Brest.
Ses déclinaisons sur le poireau et le citron ont convaincu le jury et assuré à sa crêperie, La Frégate, un surcroît de notoriété. « Je suis complet d’avril à la Toussaint et je refuse jusqu’à 200 personnes par jour en été », assure le commerçant, fermé du lundi au mercredi « pour avoir le temps d’aller à la pêche ».
Et à tous ceux qui sortiront leurs poêles du placard pour la Chandeleur (2 février), le Lionel Messi de la crêpe livre un de ses secrets : « Un soupçon de miel dans la pâte des crêpes au blé noir. » C’est cadeau.