Un accord a été quasiment ficelé jeudi soir par les ambassadeurs des pays membres de l’UE à Bruxelles, coordonnés sur ce dossier avec leurs alliés du G7, notamment les Américains et les Britanniques, ainsi que l’Australie.
Le mécanisme envisagé prévoit d’imposer un plafond de 60 dollars par baril aux prix du pétrole russe vendu à des Etats tiers, en complément de l’embargo de l’UE qui entre en vigueur lundi, selon des sources diplomatiques.
Seule la Pologne manquait encore à l’appel vendredi matin, alors que l’unanimité des 27 est requise sur ce dossier. « Le silence de Varsovie est assourdissant », raillait un diplomate.
La Russie a tiré 67 milliards d’euros de ses ventes de pétrole à l’UE depuis le début de la guerre en Ukraine alors que son budget militaire annuel s’élève à environ 60 milliards par an, rappelle Phuc-Vinh Nguyen, expert des questions énergétiques à l’Institut Jacques Delors.
Le dispositif de l’UE doit interdire aux entreprises de fournir les services permettant le transport maritime (fret, assurance…) du pétrole russe au delà du plafond de 60 dollars, afin de limiter les recettes tirées par Moscou de ses livraisons aux pays qui n’imposent pas d’embargo, comme la Chine ou l’Inde.
L’instrument doit renforcer l’efficacité de l’embargo européen, qui intervient plusieurs mois après celui déjà décidé par les Etats-Unis et le Canada.
La Russie est le deuxième exportateur mondial de brut et, sans ce plafond, il serait très simple de livrer à de nouveaux acheteurs aux prix du marché.
A l’heure actuelle, les pays du G7 fournissent les prestations d’assurance pour 90% des cargaisons mondiales et l’UE est un acteur majeur du fret maritime, d’où un pouvoir de dissuasion crédible, mais aussi un risque de perdre des marchés au profits de nouveaux concurrents…
– « On est dans l’inconnu » –
La Pologne s’est montrée très critique sur l’efficacité du plafond fixé, réclamant un prix beaucoup plus bas. Des sources ont évoqué une proposition à 30 dollars le baril.
Le cours du pétrole russe (brut de l’Oural) évolue actuellement aux environs de 65 dollars le baril, soit à peine plus que le plafond européen, d’où un impact effectivement limité à court terme.
Les occidentaux doivent composer avec les intérêts des puissants assureurs britanniques ou armateurs grecs.
L’instrument proposé par la Commission européenne prévoit tout de même d’ajouter une limite fixée à 5% en dessous du cours du marché, au cas où le pétrole russe devait tomber sous le seuil de 60 dollars.
Le prix doit en tout cas rester supérieur aux coûts de production pour inciter la Russie à poursuivre les livraisons et ne pas couper les vannes.
Certains experts craignent une destabilisation du marché mondial du pétrole et s’interrogent sur la réaction des pays de l’Opep, qui doivent se réunir dimanche à Vienne.
Le Kremlin a prévenu que la Russie ne livrerait plus de pétrole aux pays qui adopteraient ce plafonnement.
L’UE a déjà décidé d’interdire aux Vingt-Sept l’achat de pétrole russe par voie maritime à partir du 5 décembre. Cet embargo sur le pétrole par voie maritime supprimera les deux tiers des achats européens de pétrole russe.
L’Allemagne et la Pologne ayant décidé de leur propre chef d’arrêter leurs livraisons via un oléoduc d’ici la fin de l’année, les importations russes seront touchées à plus de 90%, affirment les Européens.
Pour Phuc-Vinh Nguyen, l’instrument envisagé soulève de nombreuses questions. « Un plafond de prix du pétrole ça ne s’est jamais vu. On est dans l’inconnu », résume-t-il, en soulignant que la réaction des pays producteurs de l’Opep, ou de gros acheteurs comme l’Inde ou la Chine sera cruciale.
Selon lui, un plafonnement, même à un tarif élevé, enverrait « un signal politique fort » au président russe Vladimir Poutine, car, une fois en place, ce mécanisme pourra être durci.