Pas de berges engazonnées ni de saules pleureurs, mais des quais en béton, parfois ornés de graffitis. « Notre environnement, c’est la ville. On pêche là où on vit », explique Stéphane Durand-Robin en lançant loin devant lui son hameçon, depuis les rives du canal Saint-Martin.
Baskets noires, casquette vissée sur la tête, ce Parisien d’adoption, freelance dans l’audiovisuel, fréquente avec assiduité la Seine et les canaux de la capitale pour pratiquer son sport favori: le « street fishing ». Une « pêche de rue » pétrie de référence aux cultures urbaines, en vogue dans la capitale.
« Pour moi, c’est comme une drogue. Dès que j’ai un moment de libre, je prends ma canne et je viens pêcher une heure ou deux », témoigne ce comédien de formation. « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Paris regorge de coins poissonneux ».
Quelques mètres plus loin, Olivier, 25 ans, acquiesce lentement. « Quand on pêche, on est plongé dans ce qu’on fait, il n’y a plus rien autour », confie ce juriste, qui vient régulièrement traquer perches, sandres et silures, à l’occasion des pauses déjeuner.
« Le matin, je mets souvent une canne à pêche dans ma sacoche. Je la mets dans un coin au bureau », explique le jeune homme, chemise blanche et pantalon de costume sombre. « Dans l’idéal, je préférerais aller en pleine nature. Mais la pêche en ville, ça a son charme aussi. Et puis on s’accomode du bruit et du béton ».
Lycéens, étudiants, jeunes professionnels… Selon les estimations, ils seraient près de 500, à Paris et en petite couronne, à pratiquer cette pêche au leurre d’un genre nouveau, apparue en France dans les années 2000.
« De tous temps, on a pêché à Paris. Mais ces dernières années, la pratique s’est complètement renouvelée », constate Christian Chollet, président de l’Union des pêcheurs de Paris et de la Seine.
« On a beaucoup de jeunes, parfois âgés de 13 ou 14 ans, qui se mettent à la pêche. Du coup, on est l’une des rares fédérations à progresser en France, alors que les autres ont tendance à perdre des adhérents ».
« Vélibs » et « caddies de supermarché »
Oubliée l’image du pêcheur bedonnant, assis sur une glacière un pack de bière à portée de main. « Les street fishers restent rarement au même endroit. Ils pêchent debout et bougent tout le temps. C’est un loisir actif », souligne Frédérick Miessner, fondateur du magasin spécialisé French Touch Fishing.
Pionnier de la pêche de rue en France, ce trentenaire, docteur en économie de l’environnement, propose chaque semaine des cours de pêche gratuits aux plus jeunes, dans le cadre d’une « Fishing school ». L’occasion de transmettre les valeurs chères aux street-fishers, comme le « respect de l’animal » et « de l’environnement ».
« Dans les années 1980, l’eau de la Seine était vraiment très polluée. Mais des efforts importants ont été faits et aujourd’hui, l’eau est moins sale qu’on pourrait le croire », assure le jeune homme.
Preuve de cette amélioration: 32 espèces de poissons cohabitent aujourd’hui dans la Seine, alors que seules trois espèces étaient répertoriées dans les années 1970, selon le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP).
« Parfois, on trouve dans l’eau des vélibs ou des caddies de supermarché. Mais c’est de la pollution de surface. Et les poissons aiment bien ça, ça leur fait des îlots où se refugier », s’amuse Stéphane Durand-Robin, qui remet « systématiquement » ses prises à l’eau, comme l’ensemble des street-fishers, fidèles à la pratique du « no kill ».
« De toutes façons, un arrêté préfectoral interdit la consommation des poissons pêchés à Paris, à cause des métaux lourds », rappelle Christian Chollet. « Il arrive que des SDF mangent les poissons. Mais chez les autres pêcheurs, c’est très rare ».