Depuis près de 50 ans, cet ancien site de production d’alumine de Péchiney et du géant minier anglo-australien Rio Tinto, racheté en 2012 par le fonds d’investissement américain HIG et renommé Alteo, bénéficie d’un droit à expédier ces résidus à 7 km au large de Cassis, dans le canyon sous-marin de la Cassidaigne, par 330 m de fond.
Au départ de l’usine de Gardanne (400 salariés, plus 300 sous-traitants), ces fameuses « boues rouges » empruntent un émissaire de 47 kilomètres, traversant 14 communes et, pour finir, le tout récent Parc national des calanques créé en 2012. Elles résultent du traitement de la bauxite, ce minerai de couleur essentiellement rouge, dont on extrait de l’alumine après passage à l’eau et à la soude. Celle-ci entre notamment dans la composition des écrans LCD ou d’abrasifs.
Selon le Parc national des calanques, quelque 20 millions de tonnes de ce mélange d’eau, de soude et de métaux lourds ont ainsi tapissé les fonds marins depuis 1966 et la première autorisation préfectorale. « Le canyon de la Cassidaine est un hotspot de la biodiversité de Méditerranée occidentale et il est clair que, dans la partie où ont été déversés ces matériaux, il y a eu destruction et contamination d’habitats et d’espèces patrimoniales, comme certains coraux profonds », explique son directeur général, François Bland.
– « Chantage à l’emploi » –
Au fil du temps, la quantité rejetée de résidus solides a cependant très nettement reculé: 180.000 tonnes aujourd’hui, contre 900.000 en 1972 selon Alteo, qui conteste tout impact environnemental sur la foi « des travaux menés depuis 20 ans par (son) comité scientifique de suivi, nommé par l’Etat, et travaillant en toute indépendance », assure Eric Duchenne, directeur des opérations de la société.
D’ici au printemps, les rejets solides devraient même être « quasi totalement éliminés », poursuit M. Duchenne, en vertu d’un nouveau process de production qui permet, par utilisation d’un filtre-presse, de les retenir, puis de les stocker en vue de valorisation. Cette élimination des résidus solides répond aux obligations environnementales de la France, signataire de la Convention de Barcelone sur la protection de la Méditerranée, ainsi qu’à un arrêté préfectoral de 1996 laissant à l’entreprise jusqu’au 31 décembre 2015 pour en finir avec ces boues rouges.
Mais il faudra toujours évacuer l’eau, et c’est précisément sur cette poursuite d’autorisation que doit se prononcer lundi à bulletin secret le conseil d’administration du Parc qui, à sa création, a hérité de cette dérogation accordée à un industriel. Une particularité liée au caractère péri-urbain quasi-unique de ce site, le 3e au monde avec Le Cap et Sydney.
« Le débat va donc porter sur l’appréciation de l’impact de ces rejets liquides sur ce milieu naturel protégé, et sur la santé humaine. Ce n’est pas de l’eau pure qui sera rejetée mais de l’eau industrielle, contenant des métaux dissous », relève M. Bland.
Pour Alteo, qui se dit « dans une démarche d’écologie industrielle », l’affaire ne fait aucun doute: « l’impact sera très négligeable, limité à quelques mètres au-delà du tuyau. Il y aura à peine quelques traces de métaux dissous ».
L’universitaire Olivier Dubuquoy, docteur en géographie, n’en croit pas un mot. Alteo fait du « +science washing+, il instrumentalise la science », lance-t-il. « Les travaux de son comité scientifique, qui a le même président depuis sa création en 1994, s’appuient sur des protocoles fantasques. D’ailleurs, un rapport de l’organisme Créocéan, financé alors par Péchiney, concluait dès 1993 à la toxicité de ces boues rouges pour plusieurs espèces. Alteo ne l’évoque jamais… Les ministres se succèdent, et le dossier retombe dans l’oubli. Sans doute faut-il y voir une forme de chantage à l’emploi », conclut-il.
Quant aux Verts, ils ne conçoivent pas d’avis favorable sans notamment une « expertise scientifique indépendante » et « un suivi et un contrôle annuel des engagements de l’entreprise ».
Des habitants du littoral, regroupés au sein du « Comité santé littoral sud », dont fait partie M. Dubuquoy, ont en tout cas appelé à une « mobilisation » lundi après-midi à Cassis, devant le centre de congrès où se tiendra le conseil d’administration du parc national, pour « mettre fin à une pollution vieille de 50 ans ».