Une semaine après le début de ces émeutes en réaction à une réforme constitutionnelle décriée par les indépendantistes, l’exécutif a décidé de mobiliser « pour un temps » des militaires afin de « protéger les bâtiments publics » et soulager policiers et gendarmes, a indiqué l’Elysée.
« Il reste encore du chemin avant le retour à la normale » dans le territoire du Pacifique sud (270.000 habitants), a concédé quelques heures plus tôt le Premier ministre Gabriel Attal.
Six personnes ont été tués depuis le début des violences, d’une ampleur inédite en quarante ans dans l’archipel océanien. Parmi les morts figurent deux gendarmes mobiles dont les dépouilles ont été ramenées par avion militaire dans l’Hexagone lundi.
Le Conseil de défense et de sécurité nationale a également acté que « toutes les dispositions » seraient « prises pour permettre aux touristes encore présents sur l’archipel de pouvoir rentrer chez eux », alors que la fermeture de l’aéroport international aux vols commerciaux a été prolongée jusqu’à jeudi. L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont multiplié les demandes pour pouvoir évacuer leurs ressortissants.
Malgré le déploiement massif de forces de sécurité intérieure, qui dépassent les 2.700 effectifs désormais en Nouvelle-Calédonie, la situation reste « précaire », de l’aveu même des autorités.
– Report voire retrait –
Alors que la crise menace de s’enkyster, les appels se sont multipliés, de la gauche à l’extrême droite en passant par la majorité, pour réclamer un report du projet de loi constitutionnelle, qui doit être adopté en Congrès avant fin juin.
« Il ne faut pas que le président de la République convoque le Congrès à Versailles. Pas maintenant. Je pense que le président l’a compris », a affirmé au Monde Sonia Lagarde, la maire Renaissance de Nouméa, qui assure avoir eu des contacts avec Emmanuel Macron.
Quatre présidents d’exécutifs d’outre-mer (Réunion, Guadeloupe, Martinique, Guyane) exigent même le « retrait immédiat » de cette réforme prévoyant le dégel du corps électoral aux scrutins provinciaux calédoniens, accusée par les indépendantistes de « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak ».
A l’issue de ce troisième Conseil de défense organisé en moins d’une semaine, l’Elysée n’a en revanche pas évoqué la question de la prolongation possible de l’état d’urgence, en place depuis mercredi.
Cette situation exceptionnelle ne peut être prolongée au-delà de douze jours sans soumettre un texte au Parlement, ce qui nécessiterait une saisine de l’Assemblée nationale et du Sénat avant le 27 mai.
Le temps presse, alors que sur le terrain les pénuries, notamment alimentaires, se sont multipliées.
« Ce qui manque, c’est surtout tout ce qui est fruits et légumes. Là, il ne nous reste que des pommes et voilà tout ce qui est sur le rayon, sinon derrière on n’a plus rien, et aussi la viande fraîche. Les rayons, ils sont vides », a raconté à l’AFP Ivanne Helloa, employée d’un magasin Leader Price dans le quartier Magenta, à Nouméa.
Dans ce même quartier, des signes de détente étaient perceptibles dans la journée de lundi, des jeunes nettoyant eux-mêmes les barrages qu’ils avaient installés et hissant un drapeau blanc, selon une correspondante de l’AFP.
Mais après la vaste opération de gendarmerie lancée dimanche pour libérer l’axe stratégique d’une cinquantaine de kilomètres reliant Nouméa à l’aéroport de La Tontouta, une partie des barrages débloqués ont été réinstallés par les indépendantistes.
La plupart sont « filtrants » et laissent le passage à certains véhicules, y compris les pompiers ou ambulances à toute heure, soutient la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), collectif indépendantiste accusé par les autorités d’attiser les violences mais qui affirme rester « dans une démarche pacifique ».
– « Conséquences économiques catastrophiques » –
Dans la nuit de dimanche à lundi, des détonations importantes ont été entendues dans Nouméa, notamment de grenades de désencerclement, utilisées par les forces de l’ordre pour disperser les émeutiers.
Lundi matin, la zone industrielle où se trouve la Société Le Nickel (SLN), dans le quartier de Montagne coupée à Nouméa, a vu l’incendie d’un entrepôt dont se dégageait une épaisse fumée noire.
De manière générale, des voies de communication sont restées bloquées là où les émeutiers – estimés entre 3.000 et 5.000 – ont installé des barrages.
Les mesures exceptionnelles de l’état d’urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18h00 et 6h00 (9h00 et 21h00 à Paris), l’interdiction des rassemblements, du transport d’armes et de la vente d’alcool et le bannissement de l’application TikTok – dont l’interdiction sera contestée par des défenseurs des libertés devant le Conseil d’Etat mardi à 11h30.
Le Grand Nouméa a semblé lundi à l’arrêt, marqué par les stigmates des affrontements, strié de barrages et de check-points improvisés, ralenti par les carcasses de voiture brûlées, les amoncellements de ferraille et de bois et le bitume fondu, ont constaté des journalistes de l’AFP.
La chambre de commerce et d’industrie (CCI) a appelé à « préserver le peu qu’il reste » de l’économie calédonienne, évoquant des « conséquences » économiques et sociales « déjà catastrophiques ».
Selon la CCI, 150 entreprises ont été « pillées et incendiées », et la zone industrielle de Ducos, « véritable poumon économique de la Nouvelle-Calédonie, est abandonnée à son sort ».
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