Jeudi, un navire-usine, le Margiris, a signalé qu’un de ses filets contenant des merlans bleus s’était brisé accidentellement, conduisant au rejet involontaire des poissons morts en mer. L’ONG Sea Shepherd, qui a filmé la scène, remet en cause cette version.
– Le rejet de poissons, une pratique encadrée dans l’UE –
L’interdiction de rejet des poissons, qui consiste à jeter par-dessus bord les poissons non commercialisables car trop petits, abîmés, sans grande valeur commerciale ou en cas de dépassement des quotas de pêche, a été introduite en 2015 dans l’Union européenne.
D’abord appliquée à quelques espèces de poissons et à certaines zones de pêche, elle a été progressivement étendue jusqu’en 2019 pour concerner toutes les espèces soumises à un quota de pêche ou à une taille minimale de capture.
« Les rejets ont toujours existé: le pêcheur se concentre sur ce qui va rapporter de l’argent, le reste repart à la mer », explique à l’AFP Clara Ulrich, directrice scientifique adjointe à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Certains types de pêche, comme les chaluts de fond, sont particulièrement concernés.
Au début des années 2010, les rejets étaient importants en Europe, avec par exemple 40 à 60% des plies pêchées au chalut à perche en Manche et en mer du Nord qui étaient rejetées. « Les chaluts de fond remettaient à la mer 20 à 30% de leurs prises », selon Youen Vermard de l’Ifremer.
En obligeant les pêcheurs à débarquer à terre toutes leurs prises, vendables ou non, l’idée était de réduire le gaspillage via une pêche plus sélective.
– Les limites du dispositif –
Les poissons non soumis à un quota de pêche ne sont pas concernés. Et deux types d’exemption ont été mises en place.
« La part des rejets n’a pas vraiment diminué », relève Youen Vermard, rejoignant un constat fait en 2021 par la Commission européenne, qui pointe du doigt la complexité du dispositif et un manque de contrôles.
D’autres freins sont la difficulté du tri des poissons dans les bateaux et le partage des quotas de pêche entre pays, qui peut amener à rejeter des poissons pour ne pas épuiser trop vite un maigre quota, souligne-t-il.
« C’est un échec flagrant, les pêcheurs continuent de tricher et d’effectuer des rejets en mer », déplore Nicolas Fournier, de l’ONG Oceana. « Certaines administrations, en France notamment, n’ont pas anticipé et mis en place le contrôle de cette obligation de débarquement », critique-t-il.
En France, les navires concernés doivent effectuer une déclaration de rejet, explique le ministère de la Mer. « On est passé de zéro déclaration il y a quatre ans à un peu plus de 50% des navires concernés qui le font », selon la même source. Des contrôles – à bord et/ou au débarquement – vont viser les bateaux respectant le moins bien cette obligation.
– Les pistes d’amélioration –
Une adaptation des engins de pêche peut limiter les prises accessoires, par exemple avec des mailles de filets plus grandes ou des systèmes d’ouverture de filets adaptés à certaines espèces pour qu’elles s’échappent.
Pour Oceana, il est nécessaire de mettre en place « la surveillance électronique à distance, c’est une solution pour éviter les rejets et mieux contrôler ce qui se passe en mer », explique Nicolas Fournier. Cela passe par l’installation de caméras, de capteurs sur les filets… ce qui suscite une résistance des pêcheries.
Les caméras à bord, utilisées par exemple au Canada, « ont prouvé leur efficacité », indique Clara Ulrich.
La France espère lancer une expérimentation avec quatre navires volontaires.
Mais il n’existe pas de solution miracle, avertit Clara Ulrich. « D’un point de vue biologique, ce qui définit l’impact de la pêche est le total des poissons morts par rapport à la population, à la fois ceux débarqués et mangés, et ceux rejetés. Les objectifs premiers de la Politique commune de la pêche sont d’assurer que ce nombre total ne dépasse pas les seuils estimés par les scientifiques, et que la part des rejets soit réduite », explique-t-elle.