A l’issue du Conseil des ministres mercredi, la décision est tombée: si aucun progrès n’est fait d’ici début novembre, Paris a décidé de « l’interdiction de débarquement de produits de la mer » britanniques en France, « avec des contrôles sur les camions », et de la mise en place de « contrôles douaniers et sanitaires systématiques sur les produits (britanniques) débarqués ».
Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a aussi évoqué une riposte graduelle, avec une possible « deuxième série de mesures », « avec notamment des mesures énergétiques qui ont trait à la fourniture d’électricité pour les îles anglo-normandes ».
Le détail de ces dispositions sera « communiqué dans les prochaines heures ou les prochains jours », a-t-il précisé.
Réagissant aux menaces françaises, le porte-parole du Premier ministre britannique Boris Johnson a rétorqué qu’il n’y avait eu « aucun contact formel » avec le gouvernement français sur ce point.
« Il est important de souligner que 98 % des licences de pêche ont été accordées. Nous continuons à travailler avec le gouvernement français pour en accorder davantage sur la base des preuves qu’il fournit », a-t-il ajouté, citant un chiffre qui diffère grandement de celui brandi par les Français.
Le feu couvait depuis des semaines: parmi les sujets de friction post-Brexit entre Paris et Londres, celui de la pêche reste explosif, bien que ne concernant qu’un nombre relativement réduit d’acteurs. En volume, les débarques britanniques (environ 3.000 tonnes en 2020 pour 10,2 millions d’euros) représentent moins de 5% des exportations totales britanniques de produits de la pêche vers la France.
La France ne « laissera pas la Grande-Bretagne s’essuyer les pieds sur l’accord Brexit », a insisté le porte-parole du gouvernement français, répétant que le seul souhait de la France était que l’accord conclu « puisse être respecté ».
– « En haut de la pile » –
L’accord post-Brexit, conclu in extremis fin 2020 entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition de pouvoir prouver qu’ils y pêchaient auparavant. Mais Français et Britanniques se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir.
Dans les zones de pêche encore disputées (zone des 6-12 milles des côtes britanniques et îles anglo-normandes), Londres et Jersey ont accordé au total un peu plus de 210 licences définitives, alors que Paris en réclame encore 244.
« Il manque quasiment 50% des licences auxquelles nous avons droit. C’est une situation qui n’est pas acceptable », a martelé Gabriel Attal.
De son côté, Londres estime que l’essentiel des licences pouvant être accordées l’ont été, et a écarté certaines demandes françaises – comme par exemple les dossiers concernant des changements de propriétaires de navires – ce qui explique les différences de chiffres brandis par les deux parties.
La décision française s’inscrit « dans une démarche européenne puisque nous avons saisi en même temps la Commission européenne pour avoir une réunion de premier étage de règlement des litiges », a précisé le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune, au Sénat.
La ministre de la Mer avait prévenu qu’elle voulait une solution globale d’ici au 1er novembre, puisque l’île de Jersey a donné un délai d’un mois (jusqu’au 30 octobre) à quelque 70 bateaux français pour fournir de nouveaux éléments et rouvrir leur dossier. Ces navires-là étant pour l’instant sur liste rouge, ils ne pourront plus frayer dans les eaux de Jersey à compter de lundi.
La situation est tendue dans la région de Boulogne-sur-Mer (Hauts-de-France), où des dizaines de pêcheurs n’ont pu accéder aux eaux britanniques depuis des mois. Stéphane Pinto est dans ce cas: « Depuis avril, on est à plus de 50% de pertes d’exploitation », dit-il, estimant qu’il y a longtemps que l’Etat et l’UE « auraient dû réagir ».
Côté normand, le président du comité régional des pêches, Dimitri Rogoff, est satisfait de voir le sujet pêche « en haut de la pile » et prévient que les pêcheurs vont « durcir le ton localement ».
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