Elle utilise le site Global Fishing Watch, lancé par son employeur, l’ONG Oceana, avec Google et la société SkyTruth il y a moins de trois ans, pour retracer où 70.000 navires ont vogué depuis 2012.
Le site analyse les signaux GPS transmis par les bateaux et visualise leurs itinéraires sur une carte, afin de déterminer s’ils ont traversé une zone marine protégée, ou s’ils se trouvaient bien dans la zone correspondant aux poissons déclarés.
Grâce à des algorithmes, Global Fishing Watch peut même déterminer quel type de pêche un bateau a effectué: par chalut (un filet traînant sur le fond), par palangre (une longue ligne) ou à la senne (grand filet encerclant des bancs de poissons). A chaque type de pêche correspond une vitesse et une trajectoire… et des espèces spécifiques.
« Si on ne regardait que les trajets des bateaux, on ne verrait qu’un tas de spaghettis sur la carte », dit Beth Lowell, une responsable d’Oceana. « La magie de Global Fishing Watch est qu’il transforme ce tas de spaghettis pour identifier ce qui correspond à une activité de pêche ».
« Il devient de plus en plus dur de se cacher derrière l’horizon », conclut Beth Lowell.
Mais les zones d’ombre sont encore nombreuses. Le système d’Identification automatique des navires (AIS), qui gère les signaux GPS, n’est pas obligatoire au niveau mondial pour les navires de pêche.
Les Etats ont leurs propres systèmes obligatoires mais seuls l’Indonésie, le Pérou et bientôt le Chili partagent leurs données avec le site.
– Détective des océans –
A titre d’exemple, l’ONG publie jeudi un rapport retraçant les itinéraires de trois navires à la mauvaise réputation.
Le grand large est très propice au trafic d’êtres humains: des esclaves modernes peuvent y être exploités pendant des mois, loin des inspecteurs des ports.
C’est, selon Oceana, sans doute le cas du Hung Yu 212, qui bat pavillon taïwanais. Entre 2015 et 2017, il est probablement resté 20 mois en mer, selon les données GPS analysées par Lacey Malarky et ses collègues.
L’ONG pointe aussi du doigt le Oyang 77, de pavillon sud-coréen.
Ce bateau n’a pas le droit de pêcher dans la zone économique exclusive de l’Argentine (jusqu’à 200 miles nautiques des côtes), alors il a apparemment éteint son transpondeur 77 fois de 2014 à 2019… à chaque fois, il était au bord ou à l’intérieur de la zone argentine.
Tout indique qu’il allait pêcher, incognito, dans les eaux interdites, puis rallumait son GPS une fois revenu dans les eaux internationales. Mais ses manoeuvres rendent la tactique évidente. Les garde-côtes argentins ont d’ailleurs fini par l’attraper, en février.
Un troisième navire, le bateau frigorifique Renown, illustre le blanchiment de poissons: des pêcheurs illégaux transbordent au large leurs poissons sur ce type de navires. Les données GPS aident à repérer ces transbordements.
« C’est comme des enquêtes », dit Lacey Malarky.
Oceana voudrait que les autorités utilisent le même site de façon routinière pour cibler leurs inspections portuaires. Ce n’est pas qu’une question de gestion des stocks de poissons, insiste l’ONG.
« Personne n’a d’avions permanents au-dessus des océans, il se passe beaucoup de choses invisibles au-delà de l’horizon », dit Beth Lowell. « Les conséquences économiques sont majeures: ce sont les entreprises criminelles qui profitent de la violation des lois sur le travail et la pêche. »