RETOUR SUR – Il y a 60 ans, le mythique paquebot France était mis à l’eau à Saint-Nazaire

Pendant quatre décennies, le prestigieux navire aux deux cheminées noires et rouges à ailerons, qui accueillait ses passagers « comme des rois », selon Guy Kérignard, son dernier commandant, a sillonné les mers de l’Atlantique aux Caraïbes.

Si l’admiration de ses fans a survécu à son démantèlement après 2003, la fin du « France » clôt un destin jalonné de vives polémiques.

Quand le 11 mai 1960, de Gaulle et son épouse viennent inaugurer le « France » à Saint-Nazaire, la visite revêt « un aspect symbolique mythique », souligne l’historien Eric Kocher-Marboeuf, maître de conférences à l’université de Poitiers, membre du groupement d’intérêt scientifique (GIS) de l’Histoire maritime.

Cette première visite du Général depuis 1945 dans l’ancienne ville bombardée, est presque « inespérée » pour les milliers d’ouvriers qui ont travaillé cinq ans sur le navire: « On est fier du travail fourni », souligne l’historien.

Commande publique, le France, dont la marraine est Yvonne de Gaulle, est inauguré en pleine période de croissance économique, sur fond de crise algérienne.

Le pays a alors « la volonté de renouer » avec sa compagnie maritime publique, la Transat (Compagnie générale transatlantique, « appelée French Line par les Anglais, ndlr) », depuis « la perte tragique du Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale », rappelle Eric Kocher-Marboeuf.

Mais dès le départ, le paquebot France porte en lui « une erreur économique »: il est en concurrence directe avec « la ligne anglaise qui a un autre historique que la +French Line+ ». Le navire concurrent, le « Queen Elizabeth », a lui « été pensé comme un liner », transportant plus de passagers, souligne le chercheur.

– « château de la Loire » sur la mer –

Long de 315 m, le France accueille 2.044 passagers, 890 membres d’équipage, dispose d’un pont de 8 hectares, d’une nurserie, d’une piscine. Et sa décoration signe le luxe à la française: tapisseries abstraites censées agrandir l’espace, des Picasso, Braque et Dufy dans les parties communes.

Ce « château de la Loire » sur la mer a cependant une « configuration architecturale qui n’était pas adaptée », selon l’historien. Certes, il « pouvait voyager par gros temps », mais dès 1950, le paquebot United States « était encore plus rapide ».

Pourtant lors de son voyage inaugural, en février 1962, avec à son bord le Premier ministre Michel Debré, le France reçoit un accueil triomphal à New York.

L’essor des Boeing 707 puis 747 rebat ensuite les cartes. Et le « premier choc pétrolier de 1973 est un nouveau coup dur qui affecte directement la rentabilité du paquebot français », rappelle le Musée de la Marine.

Alors que l’Etat cherche à se désengager du France, l’inquiétude gagne le personnel. Une mutinerie éclate en septembre 1974, des manifestations ont lieu au Havre, s’en suit avec le gouvernement Chirac un bras de fer qui s’achève en décembre.

Désarmé en 1974, le France est enchaîné dans un canal maritime, loin de la ville. L’idée d’en faire un porte-avion sera abandonnée.

Vendu en 1977 à un milliardaire saoudien puis en 1979 au norvégien Kloster, le France est rebaptisé « Norway » et navigue jusqu’en 2003. Truffé d’amiante, il est démantelé en 2008 en Inde.

Durant ses 13 années de service sous pavillon français, le paquebot accomplit 377 traversées de l’Atlantique nord.

De son inventaire mobilier chez les collectionneurs, reste son « nez », visible au Havre, et acheté aux enchères en 2017 par le ministère de la Culture.

– Dali, de Funès, Hitchcock –

Parmi ses 600.000 passagers, le navire a eu ses célébrités: le peintre Dali, qui voyageait avec ses trois ocelots, Giacometti, Hitchcock, Audrey Hepburn, Louis de Funès, Johnny Halliday.

A 88 ans, Guy Kerignard n’a pas oublié le France et « sa triste mort ». « C’est toujours une reconnaissance d’avoir été nommé sur ce navire. Cela a été vraiment la fin d’une époque », confie à l’AFP cet ex-second capitaine du France (1971-1974).

« Le France était vraiment le palace flottant. Les passagers y étaient traités comme des rois, tout était parfait à bord. C’était un des bateaux des plus sûrs et Dieu sait s’il a subi des tempêtes », se souvient le marin qui a publié ses « Carnets de bord ».

Entré aux chantiers navals en 1975, Marc Ménager, délégué syndical (CFDT) n’a pas oublié le France, « un monument qui va pour voguer. Il y a une ville qui a été construite avec toute la modernité ».

« L’après France n’a pas été facile à gérer, on savait que cela allait être le dernier paquebot, que la France n’allait pas en recommander un de sitôt », rappelle-t-il.

Il faudra attendre 1982 pour revoir sortir un paquebot des chantiers nazairiens, le Nieuw Amsterdam.

lg/db/nth

TRANSAT A.T. INC.

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