RETOUR SUR – Les huîtres meurent, mais les ostréiculteurs ne se rendent pas

Noël 2010 : alors qu’arrivent sur les étals les premières générations d’huîtres affectées par la surmortalité apparue en 2008, les prix moyens bondissent de plus de 20%, à 8 euros la douzaine. De 135.000 tonnes par an avant la crise, la production de la France, premier pays ostréicole européen, chute à 80.000. Et nul ne sait où cela va s’arrêter.

Trois ans plus tard, après avoir crû de 50% au total, les prix se sont stabilisés à 9,60 euros, selon l’Insee. Lors des fêtes de fin d’année 2013, on peut trouver la douzaine à moins de 7 euros en grande distribution. Et les prix tombent parfois sous la barre des 6, voire des 5 euros, sur les étals de producteurs, comme à Cancale (Ille-et-Vilaine).

En effet, pour la première fois, la production est repartie à la hausse en 2012, à 101.000 tonnes, un niveau qui devait à nouveau être atteint en 2013, selon les estimation du Comité national conchylicole (CNC).

Mais l’embellie est trompeuse, selon Gérald Viaud, son président.

« Les ostréiculteurs se sont adaptés pour tenter de stabiliser la situation. Mais on est au bout de nos possibilités. Les stocks sont à zéro, des risques pèsent sur la trésorerie, les investissements », dit-il à l’AFP.

En pratique, la branche, qui compte quelque 3.000 entreprises souvent familiales, a multiplié les captages de naissains pour tenter de compenser la surmortalité, qui décime de 60 à 70% des bébés-huîtres, contre 15 à 25% avant l’épidémie.

Altérations de l’environnement

« Grâce aux aides d’Etat, on a pu limiter le nombre de fermetures d’exploitations. Mais beaucoup d’ostréiculteurs ont dû se diversifier, voire prendre un emploi en parallèle », note M. Viaud.

Ces aides, qui ont représenté « plus de 110 millions d’euros » depuis 2008, selon le CNC, ont fondu à une douzaine de millions en 2013 et sont en cours de renégociation avec le ministère de l’Economie maritime pour 2014.

Désormais bien identifié, le virus OsHV-1, inoffensif pour l’homme mais à l’origine de la surmortalité des naissains d’huîtres creuses, la principale variété élevée en France, n’a toujours pas d’antidote.

Contrairement aux élevages à terre, « on travaille en milieu ouvert et on n’a pas, fort heureusement, de poudre de perlimpinpin à mettre dans la mer » pour tenter de contrer le phénomène, souligne M. Viaud.

La parade passe par la constitution de souches résistantes au virus, à laquelle travaillent les ostréiculteurs, les écloseries, qui fournissent environ 35% des naissains, et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Une démarche qui demande du temps.

Mais un mal supplémentaire frappe les huîtres depuis un an et demi : la bactérie vibrio aestuarianus, qui a tué l’été dernier de 10 à 70% des individus adultes. « Aujourd’hui, c’est le stock commercialisable qui est ébranlé », relève Florence Bourhis-Madec, du comité conchylicole de Bretagne-Nord.

Pour l’ensemble des acteurs de la filière, il ne fait pas de doute que les altérations de l’environnement contribuent à la fragilité croissante des coquillages.

« La hausse de la température des mers, leur acidification, qui sollicite davantage l’huître pour fabriquer sa coquille, mais aussi la présence de pesticides, jouent sur la capacité des huîtres à se défendre », indique Tristan Renault, responsable de recherche à l’Ifremer.

« On est dans un changement global susceptible d’influer tant sur les animaux que sur les agents pathogènes. Il n’est pas à exclure que d’autres agents émergent. La seule chose sûre est que meilleure est la qualité du milieu naturel, moins le risque est grand », souligne-t-il.

Cabanes de dégustation

Mais des experts mettent également en cause certaines pratiques ostréicoles.

« On est dans une filière qui multiplie les pratiques à risque, avec des densités trop fortes et énormément de transports d’animaux. On peut acheter n’importe quel naissain n’importe où, n’importe quand, et élever des jeunes avec des adultes, ce qui ne se fait nulle part ailleurs dans le monde de l’élevage », relève Michel Mathieu, fondateur du Centre de référence de l’huître de Caen.

Selon lui, « si on continue comme ça, on aura l’apparition de nouvelles maladies ». « On aurait dû réfléchir après la disparition de l’huître portugaise », au tournant des années 1970, ajoute le scientifique, qui préconise notamment d’élever les naissains dans des « sanctuaires », à l’écart des adultes.

M. Renault constate de son côté que « le fait de travailler les huîtres en été », période où elles étaient traditionnellement laissées au repos, « crée un stress qui les rend sensibles à la maladie ».

Pour lui, le salut de filière passe par « la mise en oeuvre d’un ensemble de solutions : diversification, techniques d’élevage, sélection des animaux et préservation du milieu naturel ».

Un défi qui ne fait pas peur à Jean-Charles Mauviot, directeur du comité conchylicole Arcachon-Aquitaine.

« La profession a toujours su montrer sa capacité d’adaptation aux crises majeures. Les ostréiculteurs sont avant tout des gens de mer, qui ont une forte capacité d’adaptation au milieu naturel et sont capables de modifier leurs techniques et de se remettre en question », estime-t-il.

Un exemple ? Un nombre croissant d’ostréiculteurs mise aujourd’hui sur la vente directe, qui permet de « mieux valoriser le produit ».

« Dans le bassin d’Arcachon, on compte désormais 80 cabanes de dégustation. Le métier ne perd pas de son attrait, on a même des jeunes qui s’installent », souligne M. Mauviot.

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