Les sanctions occidentales visant Moscou en réponse à son assaut contre l’Ukraine depuis trois années ont poussé le Kremlin à accélérer ce projet commercial et logistique pour épouser la réorientation de ses échanges commerciaux, de l’Europe vers l’Asie.
L’Arctique attise les convoitises de nombreuses puissances, le président américain Donald Trump ayant ravivé ces dernières semaines les tensions dans la zone en disant publiquement convoiter le Groenland.
« L’année dernière s’est soldée en effet par un record, environ 38 millions de tonnes » de cargaisons transportées, s’est réjoui le patron du groupe russe Rosatom, Alexeï Likhatchev, lors d’un point-presse en marge du Forum arctique à Mourmansk (nord-ouest).
« Dans les années à venir, cela passera sûrement des dizaines de millions à des centaines de millions de tonnes » acheminées par cette voie commerciale reliant l’Europe à l’Asie par l’Arctique, a-t-il assuré, sans donner de calendrier précis.
Selon lui, ce projet se développe « malgré les sanctions » occidentales, car « il y a une demande en Asie du Sud-Est, en Chine, dans les pays amicaux » pour les ressources naturelles transportées par cette voie, avant tout des hydrocarbures (gaz, pétrole…).
Mercredi, Vladimir Panov, représentant spécial pour le développement de l’Arctique de Rosatom, avait précisé que le transit des cargaisons via cette voie commerciale avait augmenté de 44% en 2024, en dépassant « pour la première fois » trois millions de tonnes.
« Il s’agit de cargaisons qui étaient historiquement transportées (…) via le Canal de Suez, mais maintenant les expéditeurs les redirigent vers la Route maritime du nord en été et en automne », saison navigable sur la plupart du trajet du fait de la fonte des glaces accélérée par le réchauffement climatique, a-t-il affirmé.
Si en 2024 le canal de Suez a perdu deux tiers de son trafic en raison des attaques des rebelles houthis du Yémen contre des cargos, 457 millions de tonnes de cargaisons ont toujours été transportées via le Canal de Suez, selon des statistiques officielles, soit douze fois plus que via la voie arctique, qui économise pourtant plusieurs jours de trajet (autour de deux semaines, selon les saisons).
– Défis et concurrence –
Or, ce trajet via la Route maritime du Nord reste toujours très coûteux et il nécessite le recours à des brise-glaces à propulsion nucléaire.
Pour « passer à un niveau supérieur » et envisager, à terme, le transport de 100-150 millions de tonnes de cargaisons par an, « il faut avoir entre 15 et 17 brise-glaces », contre seulement onze actuellement, avait noté mercredi Alexeï Likhatchev.
En Arctique, d’autres puissances, dont les Etats-Unis et certains pays européens, sont présentes et fortement intéressées par l’exploitation des ressources présentes dans les sols.
« Sous couvert de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique, nous assistons à des tentatives permanentes de concurrence déloyale », a dénoncé, lors du Forum arctique, Vladislav Maslennikov, du ministère russe des Affaires étrangères.
Dans la zone, Moscou voudrait s’appuyer sur son allié chinois face aux puissances occidentales, Pékin se disant prêt à coopérer avec la Russie dans ce projet, tout comme l’Inde, d’après Rosatom.
Ke Jin, directeur général de la société chinoise China Freight Forwarding Company, a, quant à lui, relevé que le manque d’infrastructures portuaires capables d’accueillir de gros navires demeurait « un des problèmes principaux » au développement de la Route maritime du Nord.
En juin 2024, Rosatom et le groupe chinois NewNew Shipping Line ont ainsi annoncé leur accord sur la mise en place d’une entreprise commune pour construire des navires porte-conteneurs adaptés aux conditions de navigation arctiques.
« Il y a des projets concrets qui se réalisent avec la Turquie, des discussions profondes avec le Vietnam, les pays du Proche-Orient », assure M. Likhatchev.
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