Sur le Danube, la galère pour sauver les céréales ukrainiennes

Izmail (Ukraine), 17 juin 2022 (AFP) – Dans le port ukrainien d’Izmaïl, sur le Danube, les chauffeurs routiers s’impatientent, leurs camions débordant de céréales. A l’autre extrémité, en Roumanie, là où le fleuve se jette dans la Mer Noire, les navires rongent aussi leur frein.

De mémoire de marin, jamais tant de bateaux, aux pavillons divers, n’ont stationné au large de Sulina, danns l’est de la Roumanie, attendant de rejoindre l’Ukraine pour être chargés de denrées.

L’invasion russe a tout chamboulé: le blocus par Moscou des ports maritimes ukrainiens, à commencer par celui d’Odessa, a paralysé les exportations de ce pays qui figure parmi les plus gros producteurs mondiaux de céréales.

« L’alternative, c’est le Danube », qui trace une frontière naturelle entre l’Ukraine et la Roumanie. « Le gros problème, c’est la capacité des infrastructures sur le fleuve », explique à l’AFP Ioury Dimtchoglo, ancien vice-président du Conseil régional d’Odessa.

Depuis le début de la guerre, « seul 1,5 million de tonnes de céréales ont pu être exportées par ce biais », dit-il, une goutte d’eau comparé aux quelque 20 à 25 millions de tonnes bloquées en Ukraine selon le président Volodymyr Zelensky.

– « Nourrir le monde » –

Tout en amont de la chaîne, l’exploitant agricole Vyatcheslav Zyabkin, qui travaille à 35 kilomètres du port, n’a « toujours rien mis sur les bateaux du Danube. Pas même un kilo ».

Car on lui a proposé un prix d’achat bien inférieur aux coûts d’exploitation, dit-il, estimant que la solution danubienne convient surtout aux petits agriculteurs, qui ont de faibles quantités à écouler.

Et pour ceux qui y ont recours, le trajet est semé d’obstacles.

D’abord les embouteillages sur la route: les camions convergent du sud du pays dans l’espoir de pouvoir décharger sur le Danube.

Puis une fois arrivés au port, là aussi il y a foule.

Rencontré à Izmaïl, Serguiï Gavrilenko, chauffeur de 45 ans, marcel à rayures bleues, bob kaki et lunettes d’aviateur, piétine. Il fait 32 degrés et il se lave avec un bidon d’eau rangé dans sa cabine.

« Avant la guerre, il fallait une journée, maintenant il faut compter trois jours. On prend sur nous parce que c’est pour le bien du pays et pour nourrir le monde », confie-t-il.

– « Pas de répit » –

Les embarcations qui prennent le relais et acheminent les marchandises vers les clients étrangers en descendant le Danube, avant de rejoindre la Mer Noire, arrivent en effet au compte-gouttes.

Au large de Sulina, ils sont près d’une centaine à patienter, entre sept et dix jours en moyenne, avant de pouvoir emprunter le canal en direction des ports ukrainiens.

« Notre volume de travail a beaucoup augmenté. Nous sommes à pied d’oeuvre du lever au coucher du soleil », raconte Gabriel Danila-Mihalcea, 28 ans, capitaine d’un bateau qui multiplie les allers-retours entre Sulina et la mer Noire.

La mission de ce bateau pilote est cruciale: transférer à bord de chacun des navires en rade un pilote qui prendra la barre jusqu’au port de destination.

Cette règle a été entérinée en 1948 par la Convention du Danube en raison des dangers d’un cours d’eau trompeur.

« Nous n’avons pas de répit », se désole, sous couvert de l’anonymat, l’un des 36 navigateurs affectés à cette tâche.

« Le mois dernier, 400 bateaux sont passés par Sulina, c’était un record », s’exclame le mécanicien du bateau pilote, Mihai Calin, 48 ans dont 30 les pieds dans l’eau.

– « Ouragan de famines » –

« Le trafic a triplé par rapport à mai 2021 », confirme auprès de l’AFP le secrétaire d’Etat roumain aux Transports Ion Popa.

Gérer cette hausse est « un effort pour la Roumanie », ajoute-t-il, disant espérer une aide de Bruxelles.

Après s’être rejeté la responsabilité pour les délais d’attente en rade, la Roumanie et l’Ukraine ont mis en place fin mai un commandement conjoint qui décide de l’ordre dans lequel les navires entrent sur le Danube. Ceux affrétés pour le transport de céréales sont désormais prioritaires.

Près de 700.000 tonnes ont par ailleurs été transportées depuis le début du conflit via le port roumain de Constanta, sur la Mer Noire, à bord de barges, de trains ou de poids lourds, souligne M. Popa.

Mais les files d’attente aux postes-frontières routiers et ferroviaires s’allongent chaque jour.

Avant la guerre, l’Ukraine était le quatrième exportateur de maïs, en passe de devenir le troisième exportateur mondial de blé et assurait seule 50% du commerce mondial de graines et d’huile de tournesol.

Si la crise dure, l’ONU craint « un ouragan de famines » dans les mois à venir.

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