Thon rouge en Méditerranée: un retour à « prendre avec des pincettes » (chercheur)

M. Bonhommeau est membre du comité scientifique de la Cicta, organisation des pays pêcheurs chargée cette semaine de renouveler le quota de pêche du fameux poisson largement exporté vers le Japon.

QUESTION: Que peut-on dire de la situation du thon rouge, qui il y a moins de dix ans a manqué de se retrouver sur la liste des espèces menacées de l’ONU?

REPONSE: « On a énormément de signes positifs, à travers les captures et, dans une moindre mesure, des campagnes de type suivis aériens dans le Golfe du Lion. En intégrant le tout dans nos modèles, on arrive à 550.000 tonnes de reproducteurs (on était tombé à 150.000 au milieu des années 2000, ndlr).

Pourquoi? On est passé de 55-60.000 tonnes pêchées par an à la fin des années 90/début 2000 à un quota de 13.500 tonnes: on a divisé pratiquement par cinq le nombre de poissons pêchés! On pouvait s’attendre à ce que la population reparte.

Mais après, la question c’est +le stock s’est-il rétabli? Est-il capable de se renouveler?+ Et là, on ne peut pas encore répondre. Des signes peuvent nous dire que oui mais on n’est pas à 100% sûr s’il sera rétabli cette année, ou s’il va l’être dans un, deux, trois ans… »

Q: Pourquoi cette prudence? Que recommandez-vous dès lors aux Etats?

R: « C’est tout le problème que d’avoir des modèles basés sur des données de pêcheries et pas des données scientifiques, dont on maîtrise le protocole.

Par exemple nous n’avons plus d’information sur les petits thons pêchés par les canneurs espagnols, qui depuis deux ans vendent leurs quotas aux senneurs (pêcheurs industriels, ndlr). On a la même chose sur les madragues espagnoles (mode de pêche traditionnel), qui l’an dernier n’ont pas autorisé l’accès aux scientifiques. Nos modèles sont basés sur sept indices, et six sur sept ont changé. L’explosion que vous voyez est donc à prendre avec des pincettes.

On a moins d’incertitude sur un marché boursier que sur une valeur de biomasse féconde du thon rouge…

C’est pour ça que ça reste assez flou et qu’on recommande soit un maintien du quota, soit une augmentation +modérée et graduelle+. Juste ne passez pas de 13.500 tonnes à 30.000 d’un seul coup, car on ne sera pas capable de voir les effets sur la population avant deux-trois ans. »

Q: Comment améliorer le suivi du stock? Les ONG demandent de surseoir à une hausse du quota en attendant une étude plus précise en 2016.

R: « L’objectif de 2016 est de réussir à intégrer un maximum d’informations pour des résultats plus précis. Il y a un gros programme de recherche thon rouge financé en majeure partie par l’UE, qui fait pas mal de marquages, avec aussi un travail de reconstitution des données anciennes, de réévaluation de la pêche illégale, de l’âge des poissons… On intégrera aussi tout ce qu’on a réussi à apprendre entre temps sur les migrations, les croissances… Ca ne va peut-être pas changer beaucoup les valeurs, mais on réduira l’incertitude les concernant. »

Propos recueillis par Catherine HOURS.

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