L’accord post-Brexit négocié par l’Union européenne prévoit que les pêcheurs européens pourront continuer à se rendre dans certaines eaux britanniques à condition d’obtenir une licence, accordée s’ils peuvent prouver qu’ils y pêchaient auparavant. C’est là que les négociations achoppent.
Londres, ainsi que les îles semi-autonomes anglo-normandes Jersey et Guernesey, n’ont pas accordé toutes les licences demandées par les bateaux français, ce qui provoque de nombreuses tensions depuis plusieurs mois.
Le gouvernement britannique a annoncé mardi qu’il accorderait 12 nouvelles licences sur 47 demandées, pour l’accès à une zone située entre 6 et 12 milles nautiques des côtes britanniques (Paris parle de 87 demandes). Au total, en incluant les autorisations délivrées précédemment par Londres, 100 licences sur 175 ont été accordées, selon le ministère de la Mer français.
« C’est un nouveau refus des Britanniques de mettre en application les conditions de l’accord du Brexit malgré tout le travail entrepris ensemble », a déclaré Annick Girardin, la ministre de la Mer, qui hausse le ton: « Je n’ai plus qu’un seul mot d’ordre: obtenir des licences définitives pour nos pêcheurs comme le prévoit l’accord. La pêche française ne doit pas être prise en otage par les Britanniques à des fins politiques ».
A cela s’ajoute le cas des eaux de Jersey et Guernesey, pour lesquelles de nombreuses licences provisoires expireront le 30 septembre. Dans un geste d’apaisement le gouvernement de Jersey, à quelques encâblures des côtes normandes, a annoncé vendredi qu’il octroierait des autorisations à des bateaux de l’Union européenne et renouvellerait des licences provisoires qui expirent dans 48 heures, jusqu’au 31 janvier 2022, pour ceux qui peinent à rassembler les justificatifs demandés.
Un nouveau délai mal perçu par les pêcheurs français, prêt à en découdre en cas de trop timides avancées.
Guernesey renouvelle, elle, de mois en mois les licences provisoires.
Au total, Paris attend encore des réponses pour 169 demandes d’autorisations définitives à Jersey, et 168 à Guernesey.
– « Ca va mal se terminer » –
Comme ses collègues de Normandie ou des Hauts-de-France, le président du comité régional des pêches de Bretagne Olivier Le Nezet est résolu au coup de poing « s’il le faut », « puisqu’il n’y a que cela que les Anglais comprennent ». « A ce jeu-là, ça va mal se terminer », redoute-t-il, fatigué à l’idée « d’aller faire le siège de Jersey tous les quatre-cinq mois ».
Les pêcheurs français plaident pour des mesures de rétorsion immédiates: interdire aux bateaux anglais de débarquer, réduire la coopération économique ou universitaire avec les îles anglo-normandes. Paris dit « étudier » le sujet, avec Bruxelles en arbitre.
Début mai, des dizaines de bateaux de pêcheurs normands et bretons s’étaient massés dans le port de Saint-Hélier à Jersey pour défendre leur droit de continuer à pêcher dans ces eaux, provoquant l’envoi par Londres de deux patrouilleurs pendant quelques heures.
Ce coup de fièvre avait abouti à l’allongement des délais sans rien changer au fond: les flottes européennes devront renoncer à 25% de leurs captures dans les eaux britanniques à l’issue d’une période de transition courant jusqu’en juin 2026.
– Vers une nouvelle date butoir –
« On a passé des mois à réunir toutes les pièces justificatives, notamment pour les petits bateaux qui n’ont pas de système de localisation satellitaire, on a tout donné », affirme Jean-Luc Hall, président du Comité national des pêches.
Du côté du ministère français, on souligne aussi les efforts déjà consentis, avec des demandes totales pour Jersey passées de « 344 navires en janvier à 216 aujourd’hui », dont seules 47 ont été définitivement validées.
Une lassitude partagée par des pêcheurs de Jersey, qui veulent protéger leur flottille de petits bateaux contre les géants qui frayent en Manche, mais redoutent « des années très difficiles » s’ils perdent leurs débouchés européens pour leurs homards et coquilles Saint-Jacques.