Un ancien marin israélien veut noyer les trafics dans un océan de données

Après avoir croisé au large de Tobrouk, jeté l’ancre pendant quatre jours à plus d’un mille sans jamais accoster, le bateau a mis le cap à l’ouest sur Misrata, également en Libye, où il n’a jamais fait escale. Puis il a rallié la Grèce pour, de nouveau, mouiller quatre jours au large.

Transportait-il des passagers, de la drogue, des armes? Ami Daniel l’ignore. Mais la cargaison a probablement été déchargée sur les côtes européennes, selon lui.

Alors que l’immigration clandestine alarme la communauté internationale, cet ancien de la marine israélienne affirme que Windward, son entreprise basée à Tel Aviv, a conçu un système croisant une masse de données disponibles sur le trafic maritime à travers le monde entier et permettant de repérer les agissements suspects en mer.

La marine italienne a bien intercepté un cargo transportant 20 tonnes de cannabis en octobre. Mais les autorités européennes sont incapables de surveiller 65.000 kilomètres de côtes, « la porte de derrière » du continent selon les mots d’Ami Daniel.

« Le problème majeur que nous essayons de résoudre, c’est de créer de la visibilité sur les océans. Il y a une faille énorme dans notre appréhension du monde », explique-t-il.

A raison de 90% du commerce mondial transitant par les océans et les ports, les autorités ne peuvent faire autrement que se concentrer sur des listes de bateaux ciblés, selon lui.

– Surveillance permanente –

Ami Daniel prône « la surveillance de tous les bateaux tout le temps ».

Avec les turbulences en cours en Libye et l’insécurité en Afrique du nord, les trafics en tout genre ont fleuri et sont devenus de plus en plus sophistiqués, décrypte Silvia Ciotti, qui dirige le centre de recherche EuroCrime.

Les trafiquants, peu regardants, envoient les migrants en Europe au péril de leur vie aussi bien qu’ils acheminent les marchandises. « Un jour, c’est de la drogue, un autre des armes. Ca leur est égal », souligne Mme Ciotti.

Pour tenter d’endiguer la vague, les Européens s’efforcent d’améliorer leur coordination grâce à une politique commune et au partage d’informations. Mais la plupart de ces données, comme la localisation des bateaux fournie par les équipages eux-mêmes, peuvent être manipulées ou erronées.

Plus de la moitié des bateaux entrant en Europe battent des pavillons dits de complaisance — ceux de pays comme le Panama qui n’imposent quasiment aucun contrôle pour attribuer leur pavillon — et 1% environ ont une identité totalement fausse, selon Ami Daniel.

Les autorités doivent souvent s’en remettre à des dénonciations, dit Mme Ciotti. L’Europe « a plein de données mais très peu d’informations » sont traitées, tranche-t-elle.

– Plus périlleux en mer –

Windward prétend pallier de telles carences en fournissant à la minute une information approfondie sur les navires, leur activité, leur propriétaire ou leur histoire.

Si un bâtiment éteint son radar ou entre dans un port considéré à risques, il éveillera immédiatement l’attention. Windward emploie aussi sa technologie pour suivre les cargaisons de pétrole iranien, après l’assouplissement des sanctions contre la République islamique.

Ami Daniel se montre discret sur sa clientèle qui comprend des souscripteurs privés, mais aussi plus d’une dizaine d’organismes gouvernementaux, en Europe, en Afrique, en Asie ou au Proche-Orient.

Même avec de multiples informations, arrêter les trafiquants reste une entreprise compliquée, notamment parce que la loi varie d’un pays à l’autre, note Michael Newton, co-éditeur de « Prosecuting Maritime Piracy ».

Dans un récent rapport, l’ONU soulignait que les opérations en mer sont les plus périlleuses à mener et que souvent, les autorités préfèrent intervenir une fois le bateau entré dans un port.

« Mais, quand elles sont réussies, les interceptions en mer permettent souvent de saisir des quantités de drogue bien plus importantes que sur terre ou dans les airs ».

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