Cette décision du gouvernement, prise sous la pression de plusieurs décisions de justice et des défenseurs de l’environnement, sera-t-elle suffisante pour protéger dauphins et marsouins dans cette zone sensible?
– Comment en est-on arrivés là ? –
La décision résulte d’un long bras de fer entre les associations de défense de l’environnement, la filière pêche et le gouvernement.
Elle trouve son origine dans le doublement du nombre d’échouages de dauphins observé depuis 2016 sur la côte atlantique de l’ouest de la France, passé de 646 à près de 1.400 sur l’hiver 2022-2023, selon l’observatoire Pelagis.
Face à cette hécatombe, France Nature Environnement (FNE), Sea Shepherd, Défense des milieux aquatiques (DMA) et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ont saisi la justice.
En mars 2023, le Conseil d’État a ordonné au gouvernement « de fermer, sous six mois, des zones de pêche dans le golfe de Gascogne pour des périodes appropriées, afin de limiter les décès accidentels de dauphins et marsouins ».
En réponse, le secrétariat d’État chargé de la Mer a pris un arrêté instaurant une période d’interdiction hivernale de pêche d’un mois en 2024, 2025 et 2026, pour tous les bateaux de huit mètres ou plus équipés de certains types de filets.
Mais cette mesure était assortie de beaucoup de dérogations limitant le nombre de bateaux concernés, ce qui avait poussé les associations à saisir de nouveau la plus haute juridiction administrative française.
Cette dernière a donc suspendu le 23 décembre un certain nombre de dérogations.
– Pouvait-on faire autrement? –
Les ONG assurent qu’elles « n’ont rien contre les pêcheurs » mais qu’il est « nécessaire d’en passer par là » si on veut espérer sauver la population de petits cétacés de la zone, estimée à 200.000 individus environ.
Entre le 1er décembre 2022 et le 3 avril 2023, Pelagis a recensé 1.380 échouages de petits cétacés entre décembre et avril sur le littoral atlantique. Mais selon les scientifiques, ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg, car la majorité des cétacés pris dans les filets coulent sans être détectés.
Selon Pelagis, 5 à 10 fois plus de cétacés mourraient donc chaque année sur la zone en raison de ces prises accidentelles, qui représentent l’une des premières causes de mortalité des dauphins communs, espèce protégée à l’échelle européenne.
Or pour assurer la survie de l’espèce, son taux de mortalité annuelle ne devrait pas dépasser 1%, selon les scientifiques.
Le Conseil d’État a lui estimé que le niveau des captures accidentelles « ne peut se poursuivre à un niveau qui n’est pas soutenable pendant un hiver supplémentaire ».
« Le consensus c’est qu’entre 5 et 10.000 cétacés meurent (chaque année) et à ce niveau de mortalité, les risques sont réels et avérés pour la survie de l’espèce », a jugé mercredi le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, disant vouloir « trouver un équilibre en ayant à la fois le souci de la biodiversité et (…) celui de la vie des femmes et des hommes » qui vivent de la pêche.
– Cela sera-t-il suffisant ? –
Le Ciem, l’organisme scientifique international de référence, a étudié différentes stratégies visant à préserver les cétacés, allant de l’utilisation de simples répulsifs acoustiques à des fermetures de pêches de deux semaines à quatre mois par an.
Et selon lui, « les scénarios basés sur une fermeture temporaire qui inclut la période hivernale de mortalité maximale sont les plus efficaces à condition que la durée de la fermeture soit d’au moins six semaines, mais des fermetures plus longues peuvent réduire considérablement +davantage+ les prises accessoires »: ainsi le scénario à 6 semaines de fermeture pourrait conduire à une baisse de la mortalité de 54% alors que celui avec quatre mois (trois mois en hiver + un mois en été) permettrait d’atteindre une baisse de 88%.
Selon FNE, la décision de limiter la fermeture à un seul mois ne pourra au mieux réduire l’hécatombe que de 17%, contre 44% de pertes en moins pour trois mois.
Les associations comptent donc, lors de la prochaine audience devant le Conseil d’État, réclamer des fermetures plus longues.
Le Comité national des pêches (CNPMEM) juge lui « extrémiste » une telle demande, assurant que le dauphin commun n’est « pas en danger » dans le Golfe de Gascogne.