Un redressement fiscal qui fond au Nigeria pour un groupe français, la justice s’interroge

Marseille, 15 mai 2024 (AFP) – Comment Bourbon a-t-il réduit à 4,1 millions de dollars un redressement fiscal annoncé à hauteur de 227 millions de dollars au Nigeria? La justice s’est interrogée mercredi à Marseille sur les accusations de corruption pesant contre le groupe parapétrolier français en Afrique.

Huit dirigeants et ex-dirigeants de Bourbon sont jugés depuis lundi pour le versement de bakchichs à des agents publics étrangers.

Interpellé le 19 octobre 2012 à l’aéroport de Marseille de retour d’une mission au Nigeria avec 250.000 dollars dans sa valise, Marc Cherqui, directeur fiscal de Bourbon, avait présenté cet argent comme un reliquat de bakchich, dénonçant des pratiques de corruption orchestrées par sa société de services maritimes à l’industrie pétrolière.

Heure par heure, mail après mail, le tribunal correctionnel a passé mercredi à la loupe les négociations qui avaient conduit, selon l’accusation, au paiement de deux commissions occultes en octobre 2012.

Dans une première phase, 700.000 dollars versés à un énigmatique Francis, inspecteur du fisc nigérian, avaient permis de faire passer l’ardoise de 227 millions de dollars du contrôle fiscal à neuf millions de dollars, soutient l’accusation.

Dans un second temps, un bakchich de deux millions de dollars remis au chef du « Criminal Investigation Department » (département d’investigation criminelle) avait encore divisé l’ardoise fiscale de Bourbon par deux.

Marc Cherqui avait été envoyé à Lagos pour gérer ce contrôle fiscal annoncé en juin 2012 par les autorités locales.

Le Nigeria, important producteur de pétrole au niveau mondial, est un pays de première importance pour Bourbon qui y réalisait à l’époque 30% de son chiffre d’affaires, soit plus de 300 millions d’euros.

Le redressement visait deux filiales de Bourbon, la société de droit nigérian Bourbon Interoil Nigeria Limited (BINL), créée en association avec des représentants locaux de la société Intels, et Bourbon Offshore Interoil Nigeria Service Limited (BOINSL), créée à Madère (Portugal) où la fiscalité était quasi nulle à l’époque.

– « Gâteau d’anniversaire » –

Les clients de Bourbon au Nigeria réglaient BINL en nairas – la monnaie locale – et BOINSL en dollars. L’absence de déclaration de la partie dollars avait été perçue comme un important risque fiscal par Marc Cherqui.

« C’est lié au risque d’instabilité dans ce pays, a expliqué Rodolphe Bouchet, ancien dirigeant de BINL. Nos clients qui sont les majors pétrolières pratiquent toutes comme cela, 40% en nairas, 60% en dollars ».

Présent à Lagos « en back-office pour valider les choses », Marc Cherqui supervisait les négociations fiscales menées par un représentant d’Intels.

Ses mails adressés à Rodolphe Bouchet au siège à Marseille parlent à mots couverts de la « fête d’anniversaire de F », correspondant à Francis l’inspecteur nigérian stipendié ou de « la portion restante du gâteau d’anniversaire de Francis ».

Au sujet du second versement de deux millions d’euros, la présidente du tribunal Laure Humeau a affiché sur les écrans du tribunal une série de messages du 12 octobre 2012 dont l’un de Marc Cherqui résumant les termes de l’accord final passé pour BINL et BOINSL avec cette phrase analysée comme un accord de Bourbon à la corruption: « PR [Public relation] 3 M USD encore négociable ».

Dans sa réponse, le représentant de Bourbon écrit: « OK pour PR max 2 ». Puis retour du représentant d’Intels: « Agreed for 2 » (d’accord pour deux).

Le groupe Bourbon a-t-il été à l’initiative d’une corruption, « animée par une volonté assumée de se soustraire au paiement des impôts légitimement dus » au Nigeria, comme l’a écrit le juge d’instruction ou a-t-elle subi ce contrôle « à la nigériane », c’est-à-dire avec une surévaluation en vue de l’obtention de bakchichs?

La présidente du tribunal a cité une déclaration du prédécesseur de M.Cherqui: « Je ne connais pas la définition légale de la corruption mais si cela concerne le fait de verser de l’argent à des fonctionnaires africains en échange de la baisse de l’ardoise fiscale, c’est ce que Bourbon est obligé de faire en Afrique ».

Face aux dénonciations de Marc Cherqui, les sept coprévenus dont Gaël Bodénès, actuel dirigeant du groupe, ont toujours opposé la charte de l’entreprise proscrivant toute pratique de corruption.

Bourbon emploie 5.982 personnes dans 38 pays pour un chiffre d’affaires consolidé de 656 millions d’euros.

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