Le marin… Son image, sa représentation semblent figées, ancrées dans des visions d’hier ou d’avant-hier. On imagine un pêcheur sur son chalutier, un vieux loup de mer capitaine au long cours d’un navire de commerce ou un officier de la « Royale » seul maître à bord après Dieu. La réalité est pourtant bien différente. Si ces trois figures de marin ont longtemps été les seules – et parfois les mêmes, les pêcheurs constituant une bonne part des équipages de la Royale en cas de conflit –, elles se sont depuis démultipliées, complexifiées, diversifiées.
Il n’y a plus aujourd’hui un marin mais des marins, dont on trouvera quelques exemples dans ce numéro d’Études marines : aux militaires, pêcheurs, navigants se sont ajoutés des explorateurs, des scientifiques, des protecteurs de l’environnement, des câbliers, des poseurs d’éoliennes, la liste ne cessant de s’allonger au rythme de la complexification du monde, de ses techniques et de l’apparente facilité, très récente, d’aller en mer. Le métier lui-même s’est profondément transformé. Il s’est mondialisé, les équipages des gigantesques porte-conteneurs qui sillonnent nos océans se composant bien souvent de nationalités sans rapport avec le pavillon du navire. Mais au fond, ce n’est sans doute pas le changement majeur si on garde à l’esprit que, dans un passé pas si lointain, les navires de commerce européens étaient manœuvrés par des équipages constitués de Français comme de Portugais ou de Hollandais. Là où il y a rupture, c’est dans le rapport à la terre et par conséquent, le rapport à la mer.
Le navire, le marin lui-même, sont aujourd’hui connectés en permanence à la terre, ce qui change profondément la nature de ce métier. La famille demeure présente au quotidien, l’armateur ou le centre opérationnel de même. Ces modifications touchent singulièrement les équipages, mais sans doute plus encore le capitaine du navire qui n’est plus « seul maître à bord » et doit prendre en compte les impacts des nouvelles venues de la terre sur ses marins. Et c’est sans compter les évolutions à venir, les expérimentations de navires autonomes, sans équipage, devant se dérouler cette année… Longtemps univers fermé, replié sur lui-même, la mer semble de plus en plus une sorte de prolongement de la terre.
Ces bouleversements, loin de nous inciter au repli sur soi, à une nostalgie passéiste, doivent au contraire nous pousser à revoir nos habitudes, nous ouvrir sur d’autres univers pour mieux refonder nos pratiques, nos usages. Études marines en est un bon exemple : objet d’une exigence constante de mes prédécesseurs, elle en a récolté les fruits avec le prix « Stratégie maritime générale » de l’Académie de Marine en 2017 et s’inscrira dans une même volonté d’ouverture sur la mer, ses ruptures, son avenir.