Préparation au départ

Ce mois de février est passé très vite. Nous avons reçu trois cargos. La base a fonctionné 24 heures sur 24 pour les décharger de leurs centaines de containers et les recharger avec nos ordures, recyclables et autres, renvoyées aux Etats-Unis. L’Ocean Giant, le Happy Valley et l’Ocean Gladiator se sont partagés la baie, libérée de glaces, avec quelques bateaux de croisière : l’Heritage Adventurer (Nouvelle Zélande), le Commandant Charcot et le Soleal (France) et le National Geographic Endurance (Etats-Unis). Le prix de ces croisières en Antarctique qui passent par chez nous varient de $25,000 (pour l’Heritage Adventurer), à $52,000 (pour l’Endurance) ou $106,000 (pour la cabine duplex du Commandant Charcot) … par personne ! En ce qui me concerne, j’ai été payé pour venir ici !

En autonomie totale

Les avions en commencé les allers-retours vers le pôle Sud pour assurer la rotation des personnels et compléter le ravitaillement terrestre dans le cadre de trois expéditions SPOT (South Pole traverse). Le dernier vol vient de rentrer. La station est maintenant totalement isolée et le restera jusqu’en octobre prochain… soit pendant 270 jours ! Il y fait -46°c aujourd’hui. La même chose s’est passée avec le continent : départ échelonné des « estivants » et déploiement des « hivernants ». Nous sommes passé de 1300 à 800. Près de 500 seront partis dans les deux semaines qui viennent. La base sera en situation « hiver » début mars, avec assez de ravitaillement pour tenir le coup pendant un an en autonomie totale. Le soleil se couchera pour la première fois demain à 22h, le 20 février ! 

Rien ne se perd

En raison de tous ces départs, je vais reparler du Skua ! Le Skua est la mouette locale, le seul oiseau à venir ici nicher et pondre ses œufs. C’est aussi une hutte située au milieu du camp où est regroupé tout ce que les partants laissent derrière eux à l’issue de leur séjour. Dans le Skua, nous avons les poubelles, les containers pour le recyclage, pour les déchets alimentaires, pour les piles, pour les ampoules et pour les médicaments. Et nous avons un grosse boite « Skua » :  comme tous les autres, je vais y laisser les vêtements et autres choses que je ne veux pas ramener sur le continent, pour différentes raisons. La seule condition est que les vêtements et le matériel soient en bon état. Tout est récupéré, trié, lavé, rangé ou pendu a sa place dans la hutte, pour le bonheur de quelqu’un d’autre. Adam, un collègue de la cellule informatique va passer l’hiver ici (une année ininterrompue à McMurdo). Comme beaucoup d’autres, il est maintenant à l’affut, dans les couloirs, d’une bonne paire de chaussure, d’un jeans, d’un K-way ou autre coupe-vent, de gants. Rien ne se perd en Antarctique !

La « rangée des accolades »

Demain ce sera mon tour. A 12h30, après les dernières formalités au bureau transport, 96 d’entre nous passeront par la petite porte latérale pour embarquer dans « Ivan le Terrabus » ou dans le « Kress », le camion-bus des glaces géant. Une « hug line » sera formée, la rangée des accolades. J’y ai participé à chaque départ, recherchant dans la masse des partants les personnes avec qui j’ai sympathisé, créé des liens. Un appel, « Alan » ou « Susan », une embrassade, un dernier mot, peut être à la prochaine saison, puis chercher un autre visage connu pour recommencer. Il y a deux jours, Bonnie, qui a été notre coiffeuse pendant quatre mois, a ouvert cette porte, s’est arrêtée, paralysée à la vue de la foule assemblée. Elle s’est écriée : “What is happening ? Nobody prepared me for that” (“Que se passe-t-il ? Personne ne m’avait prévenue ?) avant de fondre en larmes ! C’est l’effet de ce cérémonial et demain, moi qui ne les ai presque jamais portées, j’aurai certainement mes lunettes de soleil sur le nez. Je suis un grand sentimental ! Encore et encore je vais vous reparler de l’expérience humaine ici. Nous avons tellement vécu de choses ensemble à McMurdo, enfermés dans cette base isolée, dans un environnement plutôt hostile. Nous avons travaillé ensemble, partagé, discuté, joué, parfois souffert. Nous avons tous fait face aux mêmes montagnes russes émotionnelles. Nous avons vécu quatre mois entre parenthèses, loin de la vie « normale », du « continent ». Le jour des accolades, c’est le jour du dernier échange entre personnes liées par une expérience unique que mots et photos ne pourront jamais décrire.

Demain ce sera mon tour de passer cette maudite porte !

Demain ce sera mon tour de retourner dans un monde égoïste, egocentrique et fade !

Marine & Oceans
Marine & Oceans
La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

Voir les autres articles de la catégorie

ACTUALITÉS

Le Bénin et la mer

Découvrez GRATUITEMENT le numéro spécial consacré par Marine & Océans au Bénin et la mer

N° 282 en lecture gratuite

Marine & Océans vous offre exceptionnellement le numéro 282 consacré à la mission Jeanne d’Arc 2024 :
  • Une immersion dans la phase opérationnelle de la formation des officiers-élèves de l’École navale,
  • La découverte des principales escales du PHA Tonnerre et de la frégate Guépratte aux Amériques… et de leurs enjeux.
Accédez gratuitement à la version augmentée du numéro 282 réalisé en partenariat avec le Centre d’études stratégiques de la Marine et lÉcole navale

OCÉAN D'HISTOIRES

« Océan d’histoires », la nouvelle web série coanimée avec Bertrand de Lesquen, directeur du magazine Marine & Océans, à voir sur parismatch.com et sur le site de Marine & Océans en partenariat avec GTT, donne la parole à des témoins, experts ou personnalités qui confient leurs regards, leurs observations, leurs anecdotes sur ce « monde du silence » qui n’en est pas un.