Propos recueillis par Erwan Sterenn
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Vous tirez la sonnette d’alarme sur la bonne exécution de la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2019-2025 et sur le risque à venir d’une forte pression sur le budget des armées. Pourquoi ?
François Cornut-Gentille : Pour la quatrième année consécutive, la loi de finances initiale respecte la trajectoire de la LPM. Les hausses annuelles successives du budget des armées de plus de 1,7 milliards ont eu lieu comme prévu. Ce qui n’était pas assuré. Tout cela constitue assurément une bonne nouvelle. Le paradoxe est qu’en dépit de cette situation satisfaisante, nos armées demeurent extrêmement fragiles. En effet, le format visé à horizon 2030 suppose non seulement la poursuite de cette hausse, mais surtout le franchissement de marches à 3 milliards d’euros pour les années 2023 à 2025. Cette ambition sur laquelle on pouvait déjà avoir des doutes dès le vote de la LPM, apparait désormais encore moins crédible, dans le contexte économique post-crise sanitaire. Or, ces hausses ne sont pas un cadeau fait aux armées : elles constituent le strict minimum pour atteindre le modèle que nous nous étions fixé. En outre, ce modèle n’intègre pas les exigences nouvelles que comportent la guerre de haute intensité et la compétition permanente évoquées par les généraux Lecointre et Burkhard. Dans ce contexte, il est vrai de dire que les armées ont bénéficié de moyens importants, mais il est également vrai de souligner que ces moyens sont loin d’être à la hauteur de nos ambitions et que, par conséquent, les difficultés ne font que commencer.
Quels risques sur la dynamique de remontée en puissance des armées et en particulier sur la Marine nationale française ?
A terme, la contrainte budgétaire va s’exercer durement sur notre défense. Pour notre armée de l’Air comme pour la Marine, l’export peut également contribuer à aggraver cette situation. En effet, ces bonnes nouvelles pour l’industrie française peuvent entraîner un risque de rupture capacitaire (d’ores et déjà présent pour notre armée de l’Air mais prévisible pour notre Marine). Et ceci risque de se produire au moment même où, aussi bien en Méditerranée que dans le Pacifique, de nombreux pays seront au contraire en train d’intensifier leurs capacités, pour certains de façon exponentielle.
Le président Macron a affiché de grandes ambitions pour la France dans la région Indopacifique confrontée à une montée en puissance de la Chine et de la rivalité sino-américaine. Qu’en pensez-vous eu égard aux craintes que vous exprimez sur le budget de la défense et sur les capacités dont peut disposer la France dans cette région ?
Nous sommes au cœur de la contradiction historique de notre politique de défense avec un écart grandissant entre nos ambitions et les moyens que nous y consacrons. Le problème n’est pas nouveau mais nous parvenons à un point où le décalage va devenir de plus en plus visible et, par conséquent, intenable. Il n’y a que deux manières de sortir de ce piège : la première, en revoyant nos ambitions à la baisse ; la seconde, en mettant les moyens nécessaires à cette ambition. Mais alors faudrait-il sans doute disposer d’un budget allant au-delà de 2,5 % du PIB. Face aux grands défis de l’avenir, notre domaine maritime constitue un atout considérable. Nos concurrents seront assurément attentifs à observer si nous sommes déterminés à défendre ce patrimoine. Cela dépasse le simple débat du budget de la défense mais mérite un véritable débat national.