Nous sommes déjà le « jour d’après » dans un monde dont les repères, géopolitique, climatique, économique, énergétique et en matière de ressources naturelles, ont basculé. Sur tous les océans, l’action pour maintenir ou conquérir des positions stratégiques, qu’elle soit navale pour des attendus de défense ou maritime à des fins économiques, fait face à des besoins démultipliés en qualité et en quantité : invulnérabilité renouvelée de la Force océanique stratégique face aux progrès stratégiques navals adverses ; défense de nos zones de souveraineté lointaines ; sécurisation élargie des lignes d’approvisionnement (Indo-Pacifique) et des activités offshore dans des zones sous menace armée (terrorisme, piraterie, …) ; surveillance et action dans les grandes profondeurs notamment pour les installations critiques immergées (câbles ; conduits…) ; interdiction sur les trafics criminels transocéaniques impactant la sécurité régionale (drogue, armes, pétrole, personnes, ..) ; secours d’urgence post-phénomènes météorologiques et sismiques extrêmes…
Le « cahier des charges » stratégiques pour l’action en mer, navale comme maritime, a notablement gonflé tandis que les budgets sont chaque jour davantage sous contrainte (dette, inflation). Dans ce contexte, le recours aux drones navals et maritimes évoluant dans les différents milieux — les UXV avec les USV (Surface), les UAV (Air) et UUV (Undersea) — n’est plus une option mais un impératif.
Les formats des marines sont conditionnés par le coût croissant des bâtiments, des munitions et de la connectivité modernes. Sauf à entrer dans une économie de guerre d’une autre dimension que celle actuellement déployée, ils n’évolueront pas, ou peu, tant le seul renouvellement des principaux constituants (porte-avions, sous-marins, guerre des mines, …) par du « NG » (nouvelle génération) ou du « F » (futur) obère le reste. La seule voie immédiatement possible pour gagner en épaisseur et en capacité d’action sur la globalité des océans, à effort budgétaire acceptable, est de capitaliser sur l’apport majeur des UXV comme « démultiplicateur d’engagement naval ».
Les drones permettent incontestablement de gagner en profondeur d’accès, d’accroitre la portée, l’endurance et la persistance d’action dans les zones tactiquement complexes. Ils ouvrent la voie à de nouveaux concepts opérationnels, innovants et audacieux, qui vont au-delà des doctrines classiques centrées sur la liberté d’action locale de la « force navale » et les « domaines de lutte » y concourant (anti-sous-marine, anti-aérienne, guerre des mines, …), et sur une « sauvegarde maritime » devenue insuffisamment offensive face aux agressions. Ils conférent des capacités d’action augmentée face aux adversaires aussi bien en défense maritime qu’à l’offensive dans les lignes d’eaux adverses. Ils ouvrent la voie à des capacités concrètes dans le registre du « multi milieux – multi champs » : le déni, la perturbation et la falsification du spectre électromagnétique ; la déception et le leurrage électronique et acoustique ; le cyber offensif, etc.
Du côté maritime, on retrouve cette nécessité impérieuse de capitaliser très vite sur l’apport majeur des UXV comme « démultiplicateur d’engagement ». Les grands opérateurs de l’offshore, des énergies renouvelables et du transport maritime sont, eux aussi, en proie à l’effet ciseaux du coût des investissements à la hausse et des impératifs nouveaux et grandissants de sûreté (protection contre les agressions) et de sécurité d’emploi (contrôle récurrent des installations… ). Là aussi, seule la « dronisation » nativement maritime dans les trois dimensions – aéromaritime, surface, et sous-marine — permettra de couvrir les besoins, à périmètre de ressources contraintes, notamment dans sa dimension humaine. Ce sont d’ailleurs ces grands opérateurs qui investissent déjà, par la commande chez des « jeunes pousses » et des PME, pour des solutions multi-drones attendues en mer dès 2023.
2023, une année charnière
2023 sera donc le « moment stratégique » où s’exprimera très directement l’impératif d’un effort simultané et complémentaire, étatique et privé, de drones navals et maritimes dont le socle de besoins et de solutions est largement partagé.
En 2022, le thème du drone en mer n’a pas manqué d’être à l’agenda de plusieurs évènements des groupements et pôles régionaux d’industriels du naval et du maritime. Le champ des solutions déjà accessibles est connu. Désormais, l’enjeu est de voir l’équipe « Etat-privé » s’organiser, formaliser, et surtout financer une feuille de route concrète pour délivrer des solutions de portée internationale, opérationnelles en mer dès 2025. Car tel est le calendrier à l’œuvre chez nos concurrents extra-européens, notamment outre-Atlantique.
Là comme ailleurs, les Américains avancent résolument, bien rythmé par la volonté et la commande publique. Les prototypes de drone de l’US Navy sont déjà engagés dans des exercices navals d’ampleur (RIMPAC dans le Pacifique, REMPUS au Moyen-Orient). Les alliés de tous continents y sont les bienvenus, ce qui est un bon moyen de voir les avancées des autres et de façonner un cadre d’emploi centré sur les solutions américaines de connectivité et d’accès à la data. Connectivité et data sont un volet consubstantiel aux UXV, qui ne peut pas être isolé des UXV. Sous la poussée de ces différentes dynamiques, le volet réglementaire des UXV (sécurité d’emploi, risque industriel…) sera également un sujet majeur en 2023, tant en national qu’à l’international.
Pour l’heure, plusieurs industriels français ont pris, en interne, de belles initiatives pour prendre à temps le départ. Ils opèrent déjà des prototypes UXV maritimes de petites et moyennes tailles notamment pour les USV. Adossées à des plate-formistes et des équipementiers d’expérience, bénéficiant de solutions numériques déjà implémentées par ailleurs à terre (automobile, ferroviaire, aérien), les solutions navales et maritimes proposées sont robustes, fiables, et simples d’exploitation. Les premiers prix d’acquisition avancés, pour les gammes petites et moyennes taille, sont étonnamment bas rapportés à leur valeur opérationnelle. Comme le sont tout autant les coûts de possession et de mise en œuvre, notamment en termes de personnel.
Tout est donc réuni pour que le tournant des drones navals et maritimes soit pris en 2023 pour conférer, à faible coût, des gains stratégiques immédiats permettant de faire face à l’ampleur des défis d’aujourd’hui en mer. Un tel rendez-vous de l’histoire maritime devrait trouver naturellement une place dans les vastes plans de relance nationaux.