Le temps des océans

Il était temps. Vraiment temps. Cette année 2022, qui célébrait les quarante ans de l’adoption de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1) aura marqué un point de bascule dans la prise de conscience cruciale des enjeux océaniques. Souvent oubliés dans les grandes négociations internationales sur le climat et la biodiversité ou les traités en marge des COP, les océans se sont enfin imposés en tête de l’agenda politique international. L’Europe, plus vaste espace maritime au monde, a repris, à sa manière, un peu du lead sur le sujet. Notamment lors du One Ocean Summit de février à Brest où des représentants des États, de la société civile, des entreprises et de la recherche se sont réunis, à l’invitation de la France, pour s’engager collectivement pour la préservation de l’Océan. Ce fut évidemment le cas à Lisbonne, à la fin du mois de juin dernier, à l’occasion de la deuxième conférence des Nations unies sur les océans qui a rassemblé la communauté internationale autour du 14e objectif de développement durable – ODD14 (2).

Ce fut également le cas dans le cadre de la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030), portée par la Commission océanique intergouvernementale (COI) de l’UNESCO. Mais la question des océans a également acquis une place de premier rang lors de la COP27 sur le climat, en novembre dernier, à Charm El Cheikh (Egypte), et de la COP15 sur la biodiversité, en décembre, à Montréal (Canada). Et en parallèle, cette même année, l’Organisation mondiale du commerce s’attaquait de manière frontale aux subventions néfastes pour la surpêche tout comme le Programme des Nations unies pour l’environnement lançait la négociation pour l’arrêt de la production du plastique à usage unique, l’une des plus redoutables pollutions dont sont victimes les océans.

A chaque fois, la France a été en pointe pour susciter ou accompagner ces efforts. Elle l’a fait de façon transparente, ouverte et coopérative, au nom de l’intérêt partagé qu’il y a à préserver la bonne santé de l’Océan. Car celui-ci est un enjeu crucial pour tous. Son rôle dans les équilibres climatiques, environnementaux et sociaux planétaires, l’importance de la biodiversité marine pour la santé de la planète comme celle des ressources et des espaces océaniques pour l’humanité tout entière en font un objet de constante préoccupation collective.

Or les défis auquel l’Océan est aujourd’hui confronté nécessitent d’agir ensemble, à grande échelle et sans délai. Car nous ne pouvons plus ignorer que notre propre avenir dépend de son bon état. Au-delà du changement climatique, de la fonte des glaces, de l’élévation du niveau des mers, de l’altération des écosystèmes, de la pollution et de la dégradation de la biodiversité, ce sont nos modes de vie, notre alimentation, notre habitat et l’intégrité de nos territoires qui sont menacés. Conscients que la place de l’Océan dans l’agenda politique international n’est aujourd’hui ni à la mesure de son rôle dans les équilibres climatiques, environnementaux et sociaux planétaires, ni au niveau des menaces qui pèsent sur la vie marine, les dirigeants rassemblés à Brest se sont engagés à œuvrer collectivement, rapidement et concrètement pour mettre un point d’arrêt à sa dégradation. Ils ont choisi d’agir pour la préservation de la biodiversité, l’arrêt de la surexploitation des ressources marines, la lutte contre les pollutions et l’atténuation du changement climatique.

Mais ces efforts ne peuvent porter leurs fruits que s’ils sont partagés par l’ensemble des acteurs internationaux et qu’ils bénéficient d’un soutien continu au plus haut niveau.  Nous devons aller plus loin dans la reconnaissance de notre responsabilité collective, énoncée par l’ODD14, de préservation et d’exploitation durable des espaces maritimes.  Le One Ocean Summit a abouti aux engagements de Brest pour l’Océan. Des engagements à la fois pour protéger sa biodiversité et ses ressources, pour lutter contre sa pollution, pour faire face aux conséquences du changement climatique mais aussi pour mieux le connaître et en faire un sujet inscrit en permanence en tête de l’agenda politique global. Un premier point d’étape s’est tenu, dès le mois de juin, à Lisbonne, en marge de la conférence des Nations unies sur l’Océan, et les premiers résultats de cette mobilisation sont déjà perceptibles. Mais il est indispensable de poursuivre cette mobilisation et de l’inscrire dans la durée.

C’est pourquoi les présidents français et costaricien ont déjà proposé d’organiser en 2025, en France, une nouvelle conférence des Nations unies sur les océans. Cette nouvelle échéance internationale permettra de faire, en toute transparence, le point sur la réalisation de l’ODD14, dix ans après l’Accord de Paris et cinq ans avant l’échéance de l’Agenda 2030.

 

La recherche et la science

On ne saurait trop souligner que pour prendre les décisions nécessaires à la protection de l’Océan, il faut d’abord le connaître. Et cette connaissance passe par la recherche et par la science. La décennie, en cours, des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable illustre bien le rôle fondamental de la science pour la bonne gouvernance de la planète. De la même façon, l’Union européenne s’est engagée à se doter d’un modèle intégré de l’Océan, couvrant physique, chimie, vie marine et activités humaines. Ce « jumeau numérique » pourra éclairer les décisions politiques et suivre leurs effets, permettre à l’économie de la mer de se développer dans le respect des écosystèmes et nourrir le dialogue avec les parties prenantes et le public. De son côté, l’Unesco a indiqué qu’au moins 80% des fonds marins seraient cartographiés d’ici 2030, contre 20% actuellement avec un coût estimé de cinq milliards d’euros pour sa réalisation.

Il y a donc une cohérence qui relie les moyens scientifiques mis au service de la meilleure connaissance des océans, les décisions et les choix en faveur de leur utilisation durable, et plus généralement la bonne gouvernance mondiale de l’Océan. Aucune de ces dimensions ne peut être efficacement mise en œuvre sans prendre en compte les autres. Il faut que chacun en soit en permanence conscient : chercheurs, entrepreneurs, citoyens, juristes, usagers comme responsables politiques. Et cette mobilisation simultanée s’articulera d’autant plus aisément que nous garderons présents à l’esprit les risques liés à une détérioration continue de l’état des océans.

Ce sont des enjeux qui impliquent de poser comme priorité la préservation de nos conditions de vie à moyen et long terme, plutôt que les seuls bénéfices immédiats ou intérêts particuliers. Ce sont des enjeux qui d’ores et déjà, posent la question de l’accaparement des océans par les plus puissants, Etats ou entreprises, et celle du partage du bénéfice des ressources entre les différentes nations comme le sujet des pertes et des dommages causés par les effets du changement climatique sur les littoraux les plus fragiles des pays à la fois les moins dégradateurs mais aussi les plus pauvres et les plus vulnérables. Ce débat sera au cœur de la Conférence des Océans qui se tiendra en France en 2025. Il faudra du travail, de la créativité et de l’audace d’ici là. C’est dans cet esprit et ce souci de clarté que la Président de la République a porté, lors de la COP 27, la position de notre pays sur l’exploitation des grands fonds marins : une interdiction d’exploiter, tant dans les eaux internationales lors de la négociation qui se tiendra les mois prochains à l’Autorité internationale des fonds marins, que dans nos propres eaux territoriales. Comment, en effet, se lancer dans un pareil chantier alors même que nous ne pouvons estimer les graves impacts qu’une telle activité pourrait avoir sur les écosystèmes marins ?  Une position que nous partageons avec un nombre croissant de pays alors même que le sujet semblait peu conflictuel il y a quelques mois encore. Tout, y compris ce sujet des grands fonds, plaide pour l’établissement, comme c’est le cas pour le climat et la biodiversité, d’une plate-forme scientifique qui nous fournira des indicateurs sur la bonne ou mauvaise santé des océans et servira aux décideurs, qu’ils soient chefs d’Etats ou de gouvernements ou patrons de grandes entreprises, pour enfin… décider. Tout cela, nous devons le faire ensemble, autrement, en renversant les perspectives, en pensant la protection comme la norme et non l’exception, en donnant, pourquoi pas, une personnalité juridique à l’ensemble du système de l’hydrosphère, qu’il s’agisse des océans, des fleuves, des glaciers, des pôles. A Montego Bay, il y a quarante ans, en pleine Guerre froide, les nations ont su imaginer le premier traité du droit de la mer. Nous étions alors 4,5 milliards de terrien/merriens. Nous serons le double en 2040.  Nous devons tout faire, dans un monde au multilatéralisme fragilisé, pour être dignes de celles et ceux qui ont su tracer le chemin.


  1. Dite Convention de Montego Bay signée en 1982
  2. « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».
Olivier POIVRE D'ARVOR
Olivier POIVRE D'ARVORhttps://www.diplomatie.gouv.fr/fr/
Écrivain, envoyé spécial du Président de la République, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes, président du musée national de la Marine.

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