L’Association Shipper Coalition for a Low Carbon Maritime Transport (SCLCMT) a reçu, en février dernier, le Prix de la Transition Énergétique Maritime (TEM). Alain Goll, Secrétaire général de l’association, revient sur la signification de cette récompense.
Propos recueillis par Erwan Sterenn
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Comment est née l’association SCLCMT lauréate du Prix de la Transition énergétique maritime ?
Replaçons cela dans son contexte : on ne peut pas dire que les compagnies maritimes ne fassent rien en termes de transition énergétique. Elles proposent de décarboner principalement via des biocarburants. Mais cela pose deux problèmes. Le premier, c’est que ces biocarburants ne pourront pas être produits en quantité suffisante pour faire face aux besoins du maritime. Par ailleurs, selon les experts du domaine, ces produits seront à terme destinés au transport aérien. L’autre problème des biocarburants, c’est le mode d’approvisionnement que nous proposent les compagnies maritimes. On ne voit pas de schéma émerger qui consisterait à incorporer les biocarburants dans l’équation tarifaire normale du transport. À date, ce sont des engagements volontaires générant des surcoûts directs pour le client. Donc, ce n’est pas toujours évident de s’engager dans cette voie pour un chargeur. Concernant l’avenir, les compagnies maritimes investissent dans des navires fonctionnant avec des carburants de synthèse produits avec de l’énergie verte, tels que l’ammoniaque ou le méthanol. Et ça aussi, ça pose un certain nombre de problèmes, d’ordre technique, sécuritaire, et capacitaire.
Or on le sait, deux solutions peuvent aujourd’hui fortement contribuer à décarboner. La première, c’est la réduction de la vitesse des navires. La deuxième, c’est le vent. Il est partout autour de nous, inépuisable et gratuit. On l’a utilisé pendant des siècles. Notre coalition est convaincue qu’il peut retrouver sa place dans le transport maritime.
C’est pourquoi, lors du salon Wind for Goods 2021, avec le soutien de l’AUTF (Ndlr, association professionnelle des chargeurs) et de France Supply Chain, nous avons organisé un atelier afin de sonder l’appétence des chargeurs pour une initiative de porte-conteneurs véliques. Ayant vu qu’ils étaient activement à la recherche de solutions de décarbonation, nous avons continué à travailler, notamment avec la communauté Wind-ship. Nous avons ensuite fondé la Shipper Coalition ou SCLCMT, en 2022, sous forme d’association, afin de pouvoir formellement organiser un appel d’offres en vue de créer des lignes maritimes de porte-conteneurs utilisant le vent.
Comment l’association fonctionne-t-elle aujourd’hui ?
Sur le principe de la collaboration. Dans le transport maritime par conteneurs, aucun chargeur ne peut prétendre impacter tout seul le rythme de la décarbonation. La collaboration est notre seul moyen de transformer le secteur. En réunissant nos volumes, nous atteignons la masse critique suffisante pour créer des solutions innovantes dédiées. Par ce biais, l’association SCLCMT permet aux technologies naissantes dans le domaine du vélique, et elles sont nombreuses, de trouver un premier débouché commercial. Et il se trouve qu’en France, nous avons la chance d’avoir tout un écosystème d’entreprises qui innovent dans ce business-là. Ces innovateurs imaginent de nouveaux moyens de propulsion : voiles ou ailes en carbone ou textile, kites, rotors, et bien d’autres, ainsi que tout un savoir-faire pour intégrer ces solutions techniques dans une offre commerciale complète. Ces gens-là ont besoin de nous pour mettre leurs inventions sur le marché. Seule la collaboration nous permet d’être utiles à une échelle industrielle.
Quels sont les projets et les objectifs de l’association ?
Aujourd’hui notre coalition est à un tournant de son histoire : le projet transatlantique avec Zéphyr & Borée (1) a besoin de soutien pour aboutir, et tandis que nous mettons de côté les projets Asie-Europe, la SCLCMT se donne de nouvelles missions. Au-delà des projets d’appels d’offres communs, nous voulons porter la voix des chargeurs sur le sujet de la décarbonation du maritime par le vent. Nous avons donc pour cela trois objectifs : mener à bien nos projets collaboratifs, et en premier lieu ouvrir la ligne transatlantique vélique en 2027 ; Ensuite, être l’interlocuteur des parties prenantes de l’écosystème vélique maritime français : les innovateurs, très dynamiques mais aussi les acteurs portuaires, et demain, nous l’espérons, les grandes compagnies maritimes. Tout ceci ne pourra se faire qu’avec l’aide de l’AUTF et de France Supply Chain ; troisième objectif enfin, apporter un soutien pédagogique à tous les chargeurs qui cherchent à décarboner leur transport maritime. Il s’agit d’aider les entreprises dans leurs choix en expliquant les solutions disponibles, en montrant les bénéfices et opportunités qu’elles présentent, sans pour autant en occulter les risques et inconvénients.
Où en est précisément, à ce jour, l’appel à projets pour la construction de dix porte-conteneurs propulsés à la voile et au diesel/méthanol ?
Zéphyr & Borée a rassemblé des engagements de volumes générant un chiffre d’affaires garanti qui leur permet d’être au seuil de rentabilité pour financer trois navires. Avec trois navires, ils pourront faire fonctionner un service reliant l’Europe et les Etats-Unis, proposant un départ tous les 12 jours et des délais compétitifs. C’est pour la coalition une grande fierté. Zéphyr & Borée va donc lancer sous peu leur construction sur le chantier Hyundai Mippo Ducat en Corée du Sud, l’un chantiers les plus réputés au monde. Nous cherchons néanmoins des volumes supplémentaires. D’abord, il faut sécuriser le projet, qui ne se concrétisera qu’en 2027. Puis, en augmentant le chargement des navires, nous bénéficierons de baisses de coûts pour la coalition. Enfin, ces nouveaux volumes permettront un service plus fréquent. Il faut 5 navires pour que Zéphyr & Borée propose un départ hebdomadaire.
De nombreux projets de navires de transport à faible émission de carbone se développent en France et à l’international, cela est-il de bon augure pour la réalisation des objectifs de l’Organisation maritime internationale (OMI) à horizon 2050 ?
C’est malheureusement insuffisant. Les objectifs annoncés sont très ambitieux, et il reste de nombreux défis à surmonter. Je citais par exemple le déploiement de moyens massifs de production de carburant de synthèse décarboné. Les investissements à engager à terre sont bien plus importants que ceux des seuls navires à faible émission. On peut aussi noter que les objectifs annoncés de l’OMI ne sont pas adossés à des mécanismes de mise en œuvre et de sanction en cas de non-respect par les parties prenantes. À ce titre, le mécanisme européen ETS (Ndlr, système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne) est intéressant. Enfin, le temps joue contre nous. Un porte-conteneurs a une durée de vie de plusieurs décennies. Il faut donc que l’ensemble du secteur maritime mondial se transforme au plus vite.
NOTE :
- Compagnie maritime spécialisée dans l’armement de navires bas carbone, pionnière du transport maritime à la voile moderne. zephyretboree.com
Le Prix de la Transition Énergétique Maritime (TEM)
Créé en 2020 par l’Académie de Marine et la société Soper, ce prix récompense chaque année une personne physique ou morale pour sa contribution (projet, procédé, thèse, étude…) à la décarbonation du secteur maritime. Le Prix est doté d’une somme de 2 500€ et d’un trophée qui sont remis au cours d’une cérémonie solennelle en présence des présidents de l’Académie de Marine et de Soper.
En savoir + : www.academiedemarine.com – www.soper.fr