Entretien avec Lewis Pugh, nageur d’endurance, parrain de l’ONU pour les océans

« Il m’est impossible de rester silencieux sur l’environnement »

Propos recueillis par Bertrand de Lesquen.

* * *

Vous êtes identifié dans le monde entier comme le « nageur des Pôles », celui qui a bravé les eaux glacées de l’Arctique et de l’Antarctique. Pourquoi cette première nage au pôle Nord en 2007 ?

C’était le meilleur endroit pour démontrer la fonte des glaces en Arctique. 2007 a probablement été la première année où ça n’a pas gelé au pôle Nord. Je voulais y faire une nage symbolique. Je savais que les images que nous allions ramener en témoigneraient fortement. Vous devez vous rappeler qu’à cette époque, de nombreux dirigeants dans le monde ne voulaient pas admettre que des changements rapides se produisaient dans les régions polaires.

Que défendez-vous aujourd’hui prioritairement dans votre combat pour les océans ?

La protection d’au moins 30% des océans d’ici 2030 (30×30). C’est ce sur quoi nous nous concentrons entièrement.  Les aires marines protégées rendent nos océans plus résistants au changement climatique. Nous ne pouvons donc pas nous attaquer à celui-ci sans une protection des océans à grande échelle. En 2018, j’ai nagé dans la Manche pour appeler à tenir cet objectif. Le ministre britannique de l’environnement de l’époque, Michael Gove, était sur la plage de Douvres pour m’accueillir à l’arrivée. Il m’a dit qu’il soutiendrait notre campagne 30×30. Un mois plus tard, le Royaume-Uni devenait la première grande nation à s’engager sur ce sujet aux Nations unies. Aujourd’hui, 75 pays ont suivi. Mais 121 doivent encore être convaincus. Une grande conférence sur le changement climatique se tient à Glasgow à la fin de cette année (COP 26). C’est une année cruciale. En ce qui concerne le climat, les données scientifiques sont très, très claires, et le temps presse.

Lewis Pugh. Photo : Kelvin Trautman.

Après le pôle Nord, quelles ont été vos nages les plus symboliques et les plus marquantes ?

Le mont Everest en 2010. Ce qui se passe dans l’Himalaya aura un très grand impact sur la région, voire sur le monde entier. Près de deux milliards de personnes dépendent de l’eau issue des glaciers himalayens. J’ai donc nagé dans un lac glaciaire du mont Everest. Ensuite, la mer de Ross en 2015. Cela a conduit à la création de la plus grande aire marine protégée au monde d’une superficie de 1,55 million de kilomètres carrés, la taille de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie réunies. Enfin, l’Est de l’Antarctique en 2020 où j’ai nagé dans une rivière qui coulait sous la calotte glaciaire.

Pôle Nord, 2007. Photo : Jason Roberts.

Qu’est-ce qui vous a amené à la natation et comment vous entraînez-vous ?

J’ai grandi à Plymouth, la « ville de l’océan », dans le Devon. Quand j’avais 10 ans, nous avons déménagé en Afrique du Sud et je suis allé à l’école juste à côté d’une plage. J’ai ensuite servi dans la marine, puis suis devenu avocat spécialisé en droit maritime. Les océans ont toujours joué un rôle central dans ma vie. Pour ce qui concerne l’entraînement, cela dépend beaucoup du type de nage que je vais faire. Je n’ai jamais voulu faire de compétition en bassin. J’ai toujours voulu nager autour des caps, des côtes, à travers les baies et les mers, le long des rivières, à travers les fjords et, bien sûr, dans les régions polaires. Ma nage de 528 kilomètres dans la Manche a nécessité de longues heures d’entraînement. Les nages que je fais dans les régions polaires sont des nages courtes. Elles se déroulent dans des conditions si extrêmes qu’elles nécessitent un corps de sprinteur. Elles m’obligent à être rapide, fort et robuste dans l’eau froide. Cela m’impose de longues périodes d’entraînement au froid afin que mon corps puisse s’adapter. Avec le Covid, cela a parfois été difficile mais j’ai trouvé les moyens de rester en forme.

Est de l’Antarctique, janvier 2020. Photo : Kelvin Trautman.

Qu’est-ce qui vous donne cette force pour vous engager de manière aussi physique ?

Je nage depuis maintenant 35 ans. Et pendant 15 ans, je me suis consacré à la défense des océans. Il y a sept ans, les Nations unies m’ont nommé Parrain de l’ONU pour les océans.  Mon rôle est très clair : porter la voix des océans et de la faune extraordinaire qu’ils abritent. Aujourd’hui, pour être franc, je ne nage pas de manière officielle sans porter un message pour les océans ou l’environnement. Chaque génération est confrontée à ses problèmes et il m’est impossible de rester silencieux sur l’environnement. J’ai vu d’énormes changements, qui auront un impact sur chacun d’entre nous, sur les générations futures et sur l’ensemble du règne animal. Je ne pense pas que l’on puisse se taire sur la question déterminante de notre génération.

Mer de Ross, Antarctique, 2015. Photo : Kelvin Trautman.

Quelle est l’action qui vous a le plus marqué ?

Je pense que c’est probablement celle en faveur de la mer de Ross. A l’origine, un scientifique américain du nom de David Ainley a appelé à en faire une aire marine protégée. Les négociations ont duré près de 17 ans avec l’implication de nombreuses personnalités, de Leonardo DiCaprio à Pamela Anderson. Mais aucune d’entre elles n’a réussi à convaincre les gouvernements russe et chinois qui étaient les deux derniers en suspens. Une grosse pression a été exercée en 2015. John Kerry était très impliqué. Pour ma part, je suis allé en mer de Ross, j’ai nagé, puis je suis allé rencontrer des membres du gouvernement russe avec Slava Fetisov, sénateur russe et légende du hockey sur glace. Nous avons réussi à convaincre les Russes. Le jour où cet accord a été signé a été le plus beau jour de ma vie. 

Ces années d’engagement ont donc été utiles…

Oui, cela a été utile. Les choses ont bougé mais nous n’avançons pas assez vite. Les changements, dont je suis témoin sont profonds et rapides. Les institutions en charge de la protection de l’environnement ne vont pas à ce rythme là.

Quel est votre prochain défi ? 

Nous avons une très grande expédition qui se déroulera sur deux semaines en août. Je peux dire avec confiance que ce sera la plus difficile, la plus dure et la plus stimulante de ma carrière.


Entretien tiré du numéro 270 de Marine & Océans (1er trimestre 2021)

Photo entête : Est de l’Antarctique, janvier 2020 / Crédit : Kelvin Trautman.

En savoir + / Find out more  : www.lewispugh.com

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