Pot au Noir et changement climatique
Par Yvan Griboval
à bord de l’OceanoScientific Explorer
Déboulant désormais vent de travers au large des côtes brésiliennes, toujours cap au Sud, aussi vite que l’OceanoScientific Explorer « Boogaloo » en est capable, c’est-à-dire très vite pour un petit voilier de seize mètres, j’ai franchi l’Équateur le dimanche 18 décembre dernier en début de soirée, après n’avoir été ralenti qu’une vingtaine d’heures dans le Pot au Noir, dont à peine huit heures avec moins de cinq nœuds de vent. Je viens donc enrichir les échos des coureurs océaniques et chasseurs de records qui traversent cette zone en constatant que le Pot au Noir est de moins en moins un obstacle pour des voiliers, qu’il est donc de moins en moins actif, voire inactif. Et de nombreuses voix s’élèvent aussitôt parmi ceux qui parlent sans savoir, pour attribuer cela au changement climatique. Un changement climatique mis à toutes les sauces et accusé de tous les maux. Bientôt il sera responsable des embouteillages à la sortie de Paris lors des week-ends prolongés. Si, si, vous verrez… Alors sachons raison garder en ce domaine et plutôt que de dire ou d’entendre n’importe quoi à ce sujet, écoutons plutôt l’avis des scientifiques qui accompagnent le Programme OceanoScientific depuis son origine, en 2006.
Nous nous sommes tournés vers deux de nos références. Ils guident nos pas dans notre démarche philanthropique pour offrir à la communauté scientifique internationale des données de qualité collectées dans des zones maritimes peu ou pas explorées. Il s’agit de Nicolas Metzl et Gilles Reverdin, membres du CNRS, rattachés au Laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN) de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC).
Nicolas Metzl : « Je travaille prioritairement à l’étude du CO2 dans l’Océan Austral et ne suis donc pas un spécialiste du Pot au Noir. Néanmoins, depuis quelques semaines, l’Atlantique Tropical semble un peu plus chaud que d’habitude. Mais de là à conclure que c’est lié au changement du climat, difficile à dire. Il faudrait interroger des spécialistes de la dynamique et du couplage avec l’atmosphère dans cette région. Or, ils ne pourront pas se prononcer sans une étude de l’évolution sur une longue période. On peut toutefois noter que les observations, depuis environ trois décennies, suggèrent un réchauffement de l’Atlantique Tropical, sans doute lié aux forçages anthropiques, avec un impact sur les bassins indien et ouest-pacifique (réchauffement) et est-pacifique (refroidissement) à travers des télé-connections atmosphériques ».
Gilles Reverdin : « Les valeurs très chaudes au nord de l’Équateur dans l’ouest-atlantique vers 5-10° Nord sont conformes à des précipitations assez marquées dans l’extrême ouest – et à une saison cyclonique assez moyenne, d’ailleurs. Par contre, les vents doivent en effet avoir été plus marqués vers 20-30° Ouest au cours la dernière semaine. Ce type de situation peut en effet perdurer quelques semaines, ce qui est favorable à la navigation à voile, mais avec des variations au jour le jour, car il y a des ondes d’ouest et d’autres systèmes qui se baladent plutôt d’est en ouest. Cette situation ne peut donc pas être attribuée au changement climatique. Il faudrait disposer de plusieurs décennies d’observations pour se prononcer sur ce thème. »
Notre ami Pierre Blouch, tout jeune retraité de ses fonctions au sein de Météo-France et de celles qu’il assumait également en matière de Météorologie Marine dans diverses structures internationales de l’Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM), tout en ayant joué un rôle déterminant dans le démarrage du Programme OceanoScientific, puis dans son développement, mais également dans la préparation de l’expédition en cours, a interrogé plusieurs de ses collègues en charge de l’étude de ce phénomène du Pot au Noir chez Météo-France. Voici, dans son intégralité, le point de vue de ce collectif.
« De tous temps la Zone de Convergence Intertropicale (ZCIT), appelée « Pot au Noir » en Atlantique par les marins, subit des variations au jour le jour. Elle n’est jamais active tout le temps, partout. Les marins peuvent très bien franchir cette zone à un moment et à un endroit où elle est peu active, comme cette année, par exemple. On ne peut pas en conclure une disparition pour autant. Comme pour le réchauffement climatique, l’étude des variations à long terme de la ZCIT nécessite l’analyse de données sur plusieurs décennies, ces variations ne sont pas décelables sur le court terme car la variabilité à court terme est plus forte. Elles existent mais semblent osciller. Elles ne sont donc pas nécessairement liées au réchauffement climatique. Une étude montre, par exemple, que la ZCIT s’est sensiblement déplacée vers le Sud entre 1945-1954 et 1971-1980. Peut-être se déplace-t-elle actuellement de nouveau vers le Nord sans que nous ne nous en apercevions. »
On l’aura compris, appréhender les causes et conséquences du changement climatique est affaire de longue haleine. Une navigation au long cours dans l’étude de l’interaction Océan et Atmosphère. En attendant d’en savoir plus, sûrement pas avant plusieurs décennies, retenons néanmoins que les causes anthropiques de l’évolution du climat, c’est-à-dire celles relatives à l’activité humaine sur la Planète, sont un facteur accélérateur de dégradation de la situation climatique générale. Le plus beau cadeau de Noël que nous pourrions donc faire à Dame Nature, c’est de réussir à convaincre autour de nous de se comporter différemment, de consommer différemment et d’aider nos enfants à plus de respect de l’Environnement que nous n’en avons eu nous mêmes jusqu’ici. Par exemple, si nous attendions que le printemps soit bien installé pour manger les premières fraises, plutôt que d’en mettre dans la corbeille à fruits des repas de fête ? Pommes, oranges, bananes, sont tellement bonnes en hiver…
Du large du Brésil où je suis entré dans l’été alors que vous pénétriez dans l’hiver – OK, je fanfaronne un peu… – je profite de cette tribune pour vous rappeler que cette expédition de la Campagne OceanoScientific, tant dans la partie collecte de données pour la communauté scientifique internationale, que dans celle des efforts à destination des « Kids » de sept-dix ans pour les convaincre de l’absolue nécessité de préserver l’Océan, est financée exclusivement par les dons de mécénat à l’association OceanoScientific et grâce aux cotisations de ses adhérents : 20 € la cotisation annuelle. Je remercie chaleureusement tous ceux qui nous aident, dont certains depuis l’origine de l’association, le 7 janvier 2011 et j’invite tous les autres à nous rejoindre, soit au gré d’une adhésion (20 €), soit d’un don, ou des deux, sachant que chaque somme versée à cette association philanthropique d’intérêt général ouvre droit à avantage fiscal : 66% du versement pour les particuliers et 60% pour les entreprises, selon les règles fiscales qui encadrent le mécénat. Par avance, nous vous remercions de votre générosité de Noël en cliquant sur ce lien « Faire un don« . Et à dans une semaine pour la suite de nos aventures…
En savoir + : www.oceanoscientific.org