« Ce n’est pas d’une LPM de transformation dont la France a besoin mais de réarmement. »

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La prochaine Loi de programmation militaire 2024-2030 va être présentée au Parlement à compter du mois de mai prochain. Après la présentation, le 20 janvier dernier, par le Président de la République, de ses grandes orientations1, Marine & Océans propose l’analyse d’experts et de responsables politiques nationaux. : Général Bruno Clermont, Thomas Gassilloud et Laurent Jacobelli.

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La Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 permettra-t-elle à la France de « rester une puissance mondiale » selon les mots du ministre des armées2 ?

Rappelons tout d’abord que notre politique de défense repose sur quatre caractéristiques singulières : la disposition de forces nucléaires et conventionnelles ; la possession de la 2e zone économique exclusive du monde (la France est un archipel) ; la position d’alliés « non alignés » sur les Etats-Unis dans l’OTAN et la promotion d’une autonomie stratégique ; enfin, un engagement militaire en « opérations » le plus important de tous les pays européens.

Effectuons ensuite un retour en arrière : Avec les « dividendes de la paix », nos armées ont subi une longue période de maltraitance budgétaire qui a touché format et équipements. Elles sont arrivées à un point bas historique : une armée de Terre à 110 000 hommes et 200 chars Leclerc, une Marine nationale à 35 000 marins et une dizaine de bâtiments de premier rang, une armée de l’Air et de l’Espace de 40 000 aviateurs et moins de 100 Rafale. Tout cela s’est accompagné d’un sous-investissement chronique dans l’industrie de défense dont des pans entiers ont disparu.

La LPM 2024-2030 ampute de deux annuités, soit 100 milliards, la LPM précédente dont le chef d’état-major des armées disait qu’à l’issue nous resterions une « armée de temps de paix ». La guerre en Ukraine lui a donné raison.

L’ambition d’une LPM, ce sont d’abord les chiffres. Celui de 413 milliards pour 2024-2030 doit être éclairé :

  • Le Président a reconnu qu’il s’agissait d’un compromis : le « meilleur entre une défense à la hauteur de nos ambitions et le principe essentiel de sobriété. »
  • L’inflation grèvera ce budget de 30 à 50 milliards.
  • Les « grands programmes » prioritaires vont freiner un réarmement à court terme (renouvellement de la composante océanique ; porte-avions de nouvelle génération ; système de combat aérien du futur/SCAF ; char du futur/MGCS).
  • Les ressources exceptionnelles de 13 milliards sont incertaines.
  • Le coût des Opex va continuer à se poser avec le renfort des frontières de l’OTAN pour une longue période.
  • Le coût des 100 000 réservistes opérationnels va peser sur les équipements.

Cette LPM ne vise pas à augmenter la masse de nos armées. Elle privilégie la «cohérence» pour faire de la plus petite armée de notre histoire, une armée « de temps de guerre » avec des munitions, des drones ou de la défense sol-air.

La question la plus critique est celle de la répartition des 413 milliards sur 7 ans, les « marches » budgétaires. Si on se base sur la LPM actuelle et l’état des finances du pays, la probabilité est la poursuite de « marches » de 3 milliards par an, soit 47 milliards en 2024, 50 milliards en 2025 et 53 milliards en 2026. On entrera ensuite dans le temps d’une période d’élections présidentielles dont on sait qu’il sortira un nouveau président… et donc une nouvelle LPM. Cette LPM n’ira, de fait, pas à son terme.

Pour répondre à la question initiale, revenons à la tribune de Nicolas Baverez publiée le 13 mars dans Le Figaro : « les progressions de 3 milliards d’euros par an prévues de 2023 à 2025 sont insuffisantes pour répondre aux besoins les plus urgents. Les menaces existentielles qui pèsent sur la sécurité de notre nation ne laissent pas d’autre choix que de se fixer pour objectif de porter l’effort de défense à 3% du PIB en 2030 ».

Cet effort financier, d’autres pays l’ont annoncé, qu’il s’agisse de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la Pologne ou du Japon. Les mots ont une importance, ce n’est pas d’une LPM de « transformation » dont la France a besoin, c’est d’une LPM de « réarmement ». Un effort d’autant plus nécessaire compte tenu du sous-investissement colossal dans nos armées pendant 25 ans, de l’état de nos forces conventionnelles et des singularités de notre politique de défense.


 

  1. Lors de cette intervention, le 20 janvier, sur la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan, Emmanuel Macron a annoncé un budget de 413 milliards d’euros pour la LPM 2024-2030 et un objectif de « transformation » des armées autour de quatre grands pivots : le renforcement de la dissuasion, la préparation à la haute intensité, la protection de nos intérêts dans les espaces communs et le renforcement des partenariats internationaux.
  2. Sébastien Lecornu, Le Monde, 20 janvier 2023.
Général (2S) Bruno CLERMONT
Général (2S) Bruno CLERMONT
Le général (2S) Bruno Clermont a passé 35 ans dans l'armée de l'Air, dont 11 années au sein de la composante nucléaire aéroportée. Il a également été conseiller du PDG de Dassault Aviation pendant 7 ans. Il suit la guerre en Ukraine depuis son déclenchement comme « consultant défense » sur la chaîne CNEWS.

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