La guerre est de retour en Europe depuis 4 ans. La Russie dépense 7% de son PIB, soit 160 milliards de dollars pour sa défense. Elle est passée en économie de guerre dès 2022. La montée en puissance de l’armée chinoise, phénoménale, affole ses voisins. L’islamisme guerrier continue de ravager de nombreux pays. En Afrique, les morts de multiples conflits se comptent par millions. Les nuages noirs de la guerre s’accumulent.
Le XXIe siècle voit le retour des empires et de la guerre alors que les États-Unis ont décidé de laisser aux Européens la responsabilité de leur sécurité sur leur continent. L’histoire est tragique, nous l’avions oublié. Les menaces sont extérieures mais aussi intérieures : si le pouvoir politique le juge nécessaire, les armées peuvent contribuer à la lutte contre l’ensemble des menaces intérieures (terrorisme, narcotrafics, immigration incontrôlée), comme elles le font déjà avec l’opération Sentinelle ou la lutte contre le narcotrafic maritime.
Mais la raison d’être de nos armées est de protéger les Français des menaces militaires extérieures. Opposer menaces intérieures et extérieures n’a pas de sens.
Le temps du réarmement militaire et moral de la France est arrivé. Le réarmement moral est essentiel dans une société individualiste, habituée à la paix. La guerre en Ukraine nous rappelle que si les armées mènent les batailles, ce sont les nations qui gagnent les guerres. La défense n’est pas militaire, elle est nationale. La réactivation du service national, même d’un intérêt militaire limité sous la forme retenue, constitue un symbole positif en ce sens.
LE PARTICULARISME FRANÇAIS
Jamais, collectivement, les pays européens n’ont autant réinvesti dans leur défense. Mais la France n’est pas un pays européen comme les autres. La France a des particularités qui la différencient de ses partenaires et alliés.
D’une part, depuis 1964, la France possède une dissuasion nucléaire indépendante à deux composantes. Un atout stratégique majeur mais un atout qui coûte cher et qui va consommer une part importante des budgets, car nous devons renouveler nos forces nucléaires. Avec des budgets réduits, la priorité donnée depuis 30 ans aux forces nucléaires a limité nos capacités conventionnelles qui, pourtant, participent elles aussi à la dissuasion nucléaire. Le Rafale en est le symbole : la centaine de Rafale de notre armée de l’air doit remplacer 64 Mirage IV et 300 avions de combat pour la mission nucléaire et les missions conventionnelles. Croire que la dissuasion nucléaire nous protège de la guerre est une erreur. Elle nous protège de la disparition de la France. Un « luxe » immense que nos voisins européens n’ont pas, ce qui est la raison première de leur soumission militaire aux États-Unis.
D’autre part, la France est un archipel : un « hexagone » de 550 000 km² auquel il faut ajouter des territoires ultramarins, soit 630 000 km², et une ZEE de 11 millions de km², la deuxième au monde. Cela nécessite des capacités militaires dont les autres n’ont pas besoin.
LES ENJEUX DU RÉARMEMENT
S’agissant du réarmement, la guerre moderne coûte beaucoup plus cher qu’à l’époque de la guerre froide. Plus technologique, elle couvre des domaines plus larges. Les militaires parlent de guerre « M2MC » pour multi-milieux (terre, air, mer, espace et cyberespace) et multi-champs (informationnel et électromagnétique).
Après 30 ans de budgets faméliques des « dividendes de la paix » et une RGPP(1) qui a sabré dans les effectifs, le sous-investissement à compenser pour le format et les capacités militaires de nos armées est colossal. L’Otan estime que pour l’ensemble de ses membres il se monte à 8 000 milliards.
Alors qu’en est-il du réarmement militaire de la France depuis la démission du général Pierre de Villiers en 2017 ? La France a adopté deux lois de programmation militaire (LPM) : la LPM 2019-2025 (295 milliards d’euros) dite « de réparation » rapidement remplacée par la LPM 2024-2030 (413 milliards d’euros) dite « de cohérence ».
Ces deux LPM ont surtout arrêté la descente aux enfers de nos armées sacrifiées, année après année, sur l’autel de l’incurie économique et de la naïveté stratégique. Elles n’ont toutefois fait qu’en initier le réarmement. Aujourd’hui, la situation politique de notre pays est catastrophique. Il n’existe aucune garantie que les armées disposeront du budget de 57 milliards pour 2026 et de 64 milliards pour 2027 comme le président de la République s’y est engagé le 14 juillet dernier.
QUELQUES RAPPELS
La LPM 2024-2030 s’arrêtera en 2027 avec l’élection d’un nouveau président de la République. Dans l’histoire de la Ve République, une règle est simple : un nouveau président signifie une nouvelle LPM.
La LPM 2024-2030 « à 413 milliards » est de toute façon très insuffisante. Elle ne s’appelle d’ailleurs pas « de réarmement » mais « de cohérence ». Les manques de nos armées sont massifs (drones, défense sol-air, frappes dans la profondeur, guerre électronique…) mais surtout il leur manque la « masse » indispensable à une guerre de haute intensité dont le maître mot est « attrition ». Où sont passées les 18 frégates européennes multimissions (FREMM) promises, les 225 Rafale ? L’argument qui consiste à dire : « la masse c’est avec les autres », n’est pas digne de la place de la France en Europe et dans le monde, ni de son siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies sur lequel l’Allemagne lorgne depuis longtemps.
Parce que le nouveau problème de la France, c’est l’Allemagne. Alors que l’on ne sait pas ce que sera le budget de nos armées en 2026 et en 2027, celui de l’Allemagne pourrait atteindre 160 milliards en 2029. Un budget colossal qui créera un décalage colossal avec la France.
Mais la réalité, c’est que le patron c’est Trump. Il a imposé un budget de 5% du PIB à tous les membres de l’Otan. La France a accepté. Cela représente 125 milliards/an. Quand ? Comment ? Le mystère reste entier.
En conclusion, la situation financière et politique de la France met en danger son réarmement militaire qui n’a toujours pas véritablement commencé. Nous avons arrêté l’hémorragie et pansé les plaies de nos armées. Il est important de réussir à sauver les années 2026 et 2027 de la LPM actuelle.
Mais il est surtout urgent de se concentrer sur une nouvelle LPM pour 2028. Une LPM « de réarmement » à 100 milliards/an avec un nouveau modèle d’armée qui fait la part belle aux drones et aux robots pour se préparer à la guerre du XXIe siècle et pas à celle du XXe siècle. Nous ne devons pas accepter un déclassement militaire par rapport à l’Allemagne qui est en train d’accélérer pour prendre la tête de l’Union européenne mais aussi de l’Otan.
Notre armée est la meilleure en Europe, il faut qu’elle le reste. Pour la défense des Français et de la vaste France face à toutes les menaces intérieures et extérieures, pas uniquement la Russie, et pour la place de la France en Europe et dans le monde.
Général de corps aérien (2S) Bruno Clermont, ancien conseiller du Président de Dassault Aviation. Consultant Défense sur CNews
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