Le monde maritime doit achever sa mue pour parvenir à un transport propre en supprimant les émissions de C02. L’hydrogène apparaît comme une voie prometteuse. Explications de Philippe Berterottière, PDG de Gaztransport et Technigaz (GTT).
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Le monde maritime est questionné de façon croissante sur ses émissions. Rappelons que le transport maritime assure 80 % des besoins de transport mais ne représente que 2,6 % des émissions au niveau mondial. Pourtant, la persistance rétinienne du panache noir des carburants utilisés dans le passé associe le transport maritime à un transport très polluant, aussi lui demande-t-on de réduire très fortement ses émissions. En 2021, l’envol des commandes de navires propulsés au GNL (gaz naturel liquéfié) aura clairement confirmé que ce carburant est la seule solution pour les prochaines décennies puisqu’il élimine bon nombre de pollutions très nocives (les oxydes de soufre, les oxydes d’azote ainsi que les particules fines) tout en réduisant significativement les émissions de CO2.
Mais déjà, affréteurs et armateurs pensent à l’étape suivante : comment supprimer complétement les émissions de CO2 ? Différentes idées sont débattues : le GNL de synthèse ou le méthanol de synthèse, qui permettraient la neutralité carbone ; l’ammoniac vert, dont la combustion ne génère pas de CO2 (mais du protoxyde d’azote, autrement appelé « gaz hilarant », un gaz dont l’effet de serre est 300 fois supérieur au CO2). Certains parlent également de l’hydrogène. Qu’en est-il concrètement et quels sont les obstacles à franchir ?
LA TECHNOLOGIE D’ÉLECTROLYSE PEM
Aujourd’hui, la production d’une tonne d’hydrogène génère de l’ordre de 10 tonnes de CO2. Autrement dit, la production actuelle d’hydrogène est l’une des activités les plus polluantes qui soit, générant à peu près autant de CO2 que le transport maritime ! L’hydrogène qui verdirait le transport maritime doit donc être produit par électrolyse de l’eau à l’aide d’électricité dite « verte », produite à partir des énergies renouvelables. L’opération d’électrolyse consommant beaucoup d’électricité, la compétitivité de l’hydrogène vert dépend d’une part du coût de l’électricité et, d’autre part, de l’efficacité de l’électrolyseur. Aujourd’hui, la seule société française qui produit, en France, des électrolyseurs matures, Elogen, met sa R&D au service de cette course à l’efficacité. En disposant de la technologie d’électrolyse Proton Exchange Membrane (PEM), Elogen se fonde sur une technologie maîtrisée et disposant encore d’un fort potentiel d’amélioration.
Une fois cette production d’hydrogène vert assurée, nous disposons toutefois d’un gaz à faible densité énergétique : dans un volume donné, la quantité d’énergie est faible, bien plus faible qu’avec les carburants actuels. C’est pourquoi l’hydrogène compressé est utilisé pour des opérations sur courte distance : cabotage, ferry, remorqueurs, yachts, etc… La Compagnie Maritime Belge (CMB) est la première à avoir utilisé l’hydrogène comme carburant. Plutôt que d’utiliser l’hydrogène pour alimenter une pile à combustible, la CMB a préféré alimenter directement un moteur à explosion. Une idée astucieuse, car le duo pile à combustible / moteur électrique coûte infiniment plus cher qu’un moteur à explosion tout en n’offrant qu’un couple bien plus faible. La possibilité de passer à l’hydrogène pour des navires effectuant des trajets courts et pouvant avitailler souvent ne semble donc pas très lointaine.
« ROCKET SCIENCE »
L’hydrogène peut aussi être liquéfié à la température de – 253°C, très près du zéro absolu, divisant ainsi son volume par 800. A quantité d’énergie équivalente, un réservoir d’hydrogène liquide serait deux fois plus important qu’un réservoir de gaz naturel liquide. Aujourd’hui, les fusées fournissent l’une des rares applications industrielles d’hydrogène liquide carburant, avec des opérations de remplissage des réservoirs, qu’on ne souhaite pas alourdir d’une isolation, particulièrement complexes. Transférer les technologies du spatial en y ajoutant l’isolation— « rocket science » diraient les Américains —, au maritime est un défi qui prendra du temps avant d’être relevé, et sur lequel GTT travaille.
La course aux énergies vertes conduit à imaginer la production d’électricité là où les conditions de vent ou d’ensoleillement sont très favorables, en haute mer avec de l’éolien flottant (afin de maximiser les facteurs de charge des éoliennes) ou sur la latitude appropriée pour le solaire. Mais il faudra ensuite ramener cette énergie vers les zones de forte consommation, ce que l’électricité, pour des raisons à la fois techniques et de coût, ne peut faire. On pense alors à l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau. Pour le solaire, il suffira de liquéfier l’hydrogène pour le transporter par navires hydrogéniers. Un sujet que GTT, qui développe les technologies des méthaniers depuis soixante ans, ne peut que regarder de très près. Pour l’éolien en mer, il faut pouvoir générer de l’hydrogène sur le champ, éventuellement au pied du mât, grâce à des électrolyseurs très compacts, comme la technologie PEM le permet. L’hydrogène sera ensuite collecté par des tuyaux ou des navires.
AU COEUR DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Parler de méthanol synthétique ou de GNL synthétique comme carburants marins d’avenir suppose d’être capable de produire en grande quantité de l’hydrogène vert puis de le combiner à du CO2 capté pour constituer ces molécules bien connues mais devenues vertes. Cette vision est belle mais la réalisation est plus complexe : il faut beaucoup d’hydrogène vert, il faut du CO2 capté, et il faut que le résultat de la combinaison soit à un prix qui laisse le transport maritime intéressant par rapport à d’autres moyens de transport. On voit donc que l’hydrogène n’est pas si lointain pour le monde maritime, pour les courtes distances en tant que carburant puis pour le transport d’énergie sur grandes distances sous forme d’hydrogène liquide. Ces perspectives sont au cœur de la transition énergétique et la France dispose d’atouts incontestables pour en relever les défis technologiques, notamment la maîtrise des technologies du transport maritime de liquides cryogéniques et les technologies de pointe pour l’électrolyse (en opération depuis plusieurs décennies sur les sous-marins nucléaires). Les ambitions européennes et françaises dans l’hydrogène devront conforter ces atouts, pour notre pays et plus encore.