Par Aurélien Duchêne
Le Royaume-Uni a dévoilé le 18 juillet son Defence Command Paper, document qui précise les axes et priorités de la politique de défense du pays dans un contexte stratégique bouleversé. Parmi les points d’attention à retenir : ce document attendu de longue date n’annonce pas de hausse supplémentaire des dépenses militaires par rapport aux annonces de ces derniers mois. Parmi les priorités budgétaires évoquées, l’enveloppe de 2,5 milliards de livres (près de 3 milliards d’euros) supplémentaires allouée aux munitions sera ainsi prélevée sur d’autres postes de dépenses. Le format des forces britanniques ne sera pas non plus revu à la hausse : ni augmentation des effectifs, ni nouvelles commandes de matériel.
Mais ce Defence Command Paper entérine des choix annoncés précédemment, tels que l’augmentation de 5 milliards de livres des dépenses liées à la préparation des forces au combat. L’objectif de porter l’effort de défense à 2,5% du produit intérieur brut (PIB) britannique est lui aussi conforté. Alors que la France prévoit un effort de défense égal ou tout juste supérieur à 2% de son PIB d’une part, et que le PIB du Royaume-Uni devrait rester durablement supérieur à celui de la France d’autre part, cela signifie que l’écart entre les dépenses militaires françaises et britanniques est promis à se creuser en faveur de Londres. Si des dépenses militaires supérieures ne sont pas un gage de supériorité en soi, une telle évolution pourrait se traduire par un déséquilibre dans la relation franco-britannique qui était jusqu’ici une relation de pairs, et par une affirmation du leadership militaire britannique en Europe malgré le Brexit qui laisse la France première puissance militaire de l’Union européenne, là où Paris ambitionne d’être la puissance militaire motrice d’une Europe de la défense grâce à ce statut.
La France plus proche alliée
Le Defence Command Paper présente la France comme le plus proche allié du Royaume-Uni en Europe : s’il est intéressant de noter que l’Allemagne, et plus encore la Pologne en pleine montée en puissance militaire, occupent une place inédite dans un document stratégique britannique, c’est bien Paris qui est considéré comme le principal partenaire de Londres sur le Vieux Continent.
Il est tout aussi intéressant de noter que la défense de l’Europe retrouve toute sa centralité, là où la Defence Review de 2021, et plus encore la stratégie Global Britain explicité dans un document officiel paru la même année, valorisaient les espaces extra-européens, à commencer par l’Indopacifique. Si le Royaume-Uni n’abandonne en rien l’ambition de peser davantage comme puissance globale dans ces régions éloignées, l’on observe donc un recentrage sur l’Europe qui semble être autant le fruit du renforcement de la menace russe que d’un certain pragmatisme.
Bien que le Defence Command Paper n’annonce pas de hausse du format des forces, les forces navales demeurent, semble-t-il, prioritaires. Le Royaume-Uni entend consolider sa place de seconde puissance maritime de l’Alliance et de première puissance maritime d’Europe, devant la France.
Rappelons qu’en novembre 2020, le gouvernement de Boris Johnson avait annoncé un investissement supplémentaire dans la défense nationale de 16,5 milliards de livres sterling (soit 18,5 milliards d’euro au taux de conversion d’alors) sur quatre ans, s’ajoutant à la hausse de 7,6 milliards de livres qui était déjà programmée.
La Royal Navy prioritaire
La Royal Navy était déjà la principale bénéficiaire de cette enveloppe, qui devait permettre, entre autres, de financer l’acquisition de huit frégates de type 26 et de cinq frégates de type 31, tout en préparant l’avènement de futures frégates de type 32 et celui de nouveaux navires de soutien pour les groupes aéronavals. Entre autres acquisitions déjà planifiées au moment d’écrire ces lignes, la Royal Navy obtiendra un nouveau navire polyvalent de surveillance des océans (MROSS), en vue de protéger les infrastructures stratégiques, telles que les câbles sous-marins. Les navires de lutte contre les mines de la classe Hunt et les chasseurs de mines de la classe Sandown seront remplacés par des systèmes autonomes de chasse aux mines (un domaine où la Royal Navy coopère avec la Marine nationale française). Deux groupes de réaction littoraux seront constitués, l’un basé dans l’Atlantique Nord et l’autre dans l’Indopacifique. Le destroyer de type 83 sera développé pour remplacer les destroyers de type 45 d’ici la fin de la décennie 2030. Deux frégates de type 23 seront retirées du service, ce qui équivaudra à une réduction temporaire du nombre de frégates avant l’introduction des huit frégates de type 26, des cinq frégates de type 31 et des futures frégates de type 32. La défense anti-aérienne du destroyer de type 45 sera, quant à elle, améliorée. Enfin, la prochaine génération de sous-marins destinée à remplacer ceux de la classe Astute sera développée pour une entrée en service au cours de la décennie 2040.
En cohérence avec les annonces de l’Integrated Review de 2023, le Defence Command Paper fait également de la modernisation et du renforcement de la dissuasion nucléaire une priorité absolue. Rappelons que la dissuasion nucléaire britannique est intégralement maritime, concentrée sur une composante exclusivement sous-marine. L’effort financier consacré à la Royal Navy intégrera donc la poursuite de la construction des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) de nouvelle génération de la classe Dreadnought (en remplacement de l’actuelle classe Vanguard), dont le premier devrait entrer en service au début de la décennie 2030. Sur 3 milliards de livres alloués à la modernisation de la dissuasion nucléaire, plus de 2 milliards seront ainsi dédiés à des projets (conception, assemblage, chaudronnerie…). Il s’agit, dans le même temps, de contribuer à la construction par l’Australie de SNA de nouvelle génération (SSN-Aukus) à partir de technologies américaines et britanniques, dans le cadre du pacte AUKUS.
Enfin, le dernier élément notable de ce Defence Command Paper réside dans la convergence de vues avec la France sur les arbitrages en matière de modèle d’armée. Là où la tentation était grande d’imiter certains pays européens – la Pologne au premier chef – qui ont opté pour un renforcement de la masse et de l’épaisseur de leurs armées, avec une augmentation des effectifs et du parc matériel, le Royaume-Uni privilégie, comme la France, la cohérence du modèle d’armée, l’excellence technologique, les capacités de projection et d’intervention sur tous les théâtres et dans tous les milieux, et la maîtrise de nouveaux domaines et enjeux allant de l’espace au cyberespace, en passant par les drones et les fonds marins.
A défaut de nouvelles annonces ou de surprises, ce Defence Command Paper permet donc de mieux comprendre les orientations et arbitrages des politiques de défense du Royaume-Uni pour la décennie qui vient, et donc d’y voir plus clair sur ce que sera le visage des armées britanniques à l’horizon 2030.
Aurélien Duchêne