Le dernier numéro de Marine & Océans (2e trimestre 2021) est consacré à l’océan Indien à l’heure où la France succède à l’Iran, pour deux ans, à la présidence du Symposium naval de l’océan Indien (lire ci-dessous).
Nous avons choisi de prolonger ce numéro papier par une édition numérique riche de nombreux interviews et articles permettant de compléter la compréhension des enjeux de ce vaste espace maritime.
Nous avons également fait le choix de publier ces interviews et articles dans leur version source originale, française et anglaise.
Vous trouverez ainsi dans cet ensemble, par ordre d’apparition :
Ci-dessous, sur le site en français :
- Une présentation du Symposium naval de l’océan Indien.
- Une interview de Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du Cluster Maritime Français, et Sébastien Camus, Président du Cluster Maritime de La Réunion.
- Un article de Magali Duval, Déléguée Ifremer pour l’océan Indien.
- Un article de Robert Calcagno et Gilles Bessero sur la prochaine expédition de la Société des explorations de Monaco
- Un article de Jean-Marc Beynet sur la hausse du niveau de la mer, notamment dans l’océan Indien.
- Un article de Jean-Stéphane Betton sur les “premiers inventeurs” de l’océan Indien.
- Un article de Atlantine Boggio-Pasqua sur les diazotrophes de l’océan Indien.
Et sur le site en anglais : www.marine-oceans.com/en/
- Une présentation du Symposium naval de l’océan Indien.
- Une interview du contre-amiral Dr. Hossein Khanzadi, chef d’état-major de la Marine iranienne.
- Un article de M. Dadan Umar Daihani, Professeur à l’université Trisakti et analyste senior au National Resilience Institute (Indonésie)
- L’article de Robert Calcagno et de Gilles Bessero sur la prochaine expédition de la Société des explorations de Monaco.
- Le N°19 d’Études marines (mai 2021), édité par le Centre d’études stratégiques de la Marine nationale, consacré aux détroits de l’océan Indien (en savoir + sur : cesm.marine.defense.gouv.fr).
Le Symposium naval de l’océan Indien
La 7e édition du Symposium naval de l’océan Indien (Indian Ocean Naval Symposium – IONS) se tient du lundi 28 juin au jeudi 1er juillet 2021, pour la première fois en France, sur l’île de La Réunion.
Les échanges seront axés autour des trois thématiques de travail de l’IONS : sécurité maritime, interopérabilité et partage de l’information maritime, assistance aux populations frappées par une catastrophe naturelle. La France a choisi la sécurité environnementale pour thème général du symposium.
À l’occasion de cette 7e édition, la France prendra, pour la première fois, la présidence de l’IONS pour un mandat de deux ans.
Le symposium IONS a été créé en 2008 dans le but de promouvoir la coopération entre les marines militaires des États riverains de l’océan Indien et de consolider une approche commune des défis et des réponses liés aux enjeux de la zone.
Ce rendez-vous est le forum d’échange privilégié entre ces nations, au nombre de 25, auxquelles s’ajoutent huit États observateurs et huit États invités par la France lors de cette édition.
La présidence de l’IONS est assurée à tour de rôle par un membre permanent : la passation de présidence fait l’objet d’un symposium, permettant aux groupes de travail permanents d’exposer l’avancement de leurs travaux, et aux Chefs d’état-major des marines (CEMM) concernées de se réunir afin d’en orienter le développement. En raison de la pandémie, l’instance décisionnelle de l’IONS, le conclave, se tiendra à l’automne 2021 lorsque les conditions sanitaires permettront de réunir physiquement le maximum de CEMM pour prendre les décisions d’orientation des travaux de l’IONS pour les prochaines années.
Membre de droit de l’IONS depuis 2014, c’est la première fois que la France en prend la présidence, pour une durée de deux ans. En présence de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine nationale, la France confirme ainsi son engagement au service de la paix, de la sécurité maritime, de la coopération internationale et de la protection de l’environnement dans la région de l’océan Indien.
La France est une nation riveraine de l’océan Indien avec les îles de La Réunion et de Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises. Dans cette zone stratégique du globe, elle dispose d’une capacité militaire et navale permanente, et noue des accords de défense avec les autres pays riverains, dont plusieurs partenariats stratégiques.
Cette 7e édition du symposium se déroulera dans des conditions particulières du fait du contexte sanitaire mondial. Pour cette raison, plusieurs États participants suivront les échanges à distance et un protocole sanitaire rigoureux sera mis en place pour les délégations présentes.
Source : Service d’information et de relations publiques de la marine française
Entretien avec Frédéric Moncany de Saint-Aignan (Président du Cluster maritime français) et Sébastien Camus (Président du Cluster maritime de La Réunion)
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Propos recueillis par Alexandre Luczkiewicz
Comment percevez-vous en tant qu’acteurs économiques, la tenue, fin juin, à La Réunion, sous présidence française, de la 7ème édition du Symposium naval de l’océan Indien (acronyme anglais IONS) qui rassemble les marines de la quasi-totalité des nations riveraines et celles de quelques pays observateurs et invités.
Frédéric Moncany de Saint-Aignan, Président du Cluster Maritime Français : On peut déjà se réjouir que cet événement (bi-annuel) puisse enfin se tenir en présentiel, en France, à l’ile de La Réunion. Vous le soulignez, cet événement va rassembler les représentants des marines des nations riveraines de l’océan Indien. Quelle belle opportunité, tout d’abord, pour mettre en avant tous les atouts de l’île de La Réunion dans son environnement indo-océanique et indo-pacifique, comme l’avait rappelé sous cette forme — « La France est un pays Indopacifique maritime et insulaire » — lors de sa visite en octobre 2019, le Président de la République Emmanuel Macron, qui avait prononcé un discours fort en clôture du sommet « Choose La Réunion ».
« Choose La Réunion », c’est pouvoir, à l’occasion de ce Symposium naval, montrer une vitrine du savoir-faire des entreprises de La Réunion, d’abord, et ensuite une bonne occasion de rappeler les atouts stratégiques de ce territoire que constitue cette base avancée de l’Europe en Océan Indien.
Sébastien Camus, Président du Cluster Maritime de La Réunion : J’y vois aussi trois occasions intéressantes. L’occasion, d’abord, pour la Marine nationale, de continuer à jouer son rôle d’ambassadeur économique, de faire connaître au travers de cet événement les produits et savoir-faire des entreprises françaises (présentes à ce symposium) qui œuvrent à l’international en général et dans l’Océan Indien en particulier.
L’occasion, ensuite, de rappeler le rôle de l’Action de l’État en Mer dans le domaine de la sécurisation des activités économiques (lutte contre la pêche illégale, contre la piraterie), dans un océan comportant des zones de fortes tensions.
Et enfin, l’occasion de mettre en lumière la place de la France dans l’océan Indien, avec de vastes territoires comme Mayotte, La Réunion, les îles éparses et les TAAF, et leurs atouts, tout en soulignant le fait que ce sont des territoires européens avec ce que cela représente en termes de sécurité et de sûreté, de protection de l’environnement, de développement économique, dans un environnement non européen.
La France vient également de prendre la présidence de la Commission de l’océan Indien avec comme priorités affichées la sécurité maritime, l’économie bleue et la mobilité. Comment allez-vous participer à cette présidence et notamment contribuer à faire avancer les sujets de l’économie bleue et de la mobilité ?
Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Le Secrétaire d’Etat chargé du Tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie, auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, a en effet reçu la Présidence de la Commission de l’océan Indien (COI) au nom de la France, le 20 mai dernier. La France est membre de la COI au titre de La Réunion depuis 1986. Elle est pleinement engagée dans la région et auprès des pays de l’océan Indien occidental qui la composent : Union des Comores, Madagascar, Maurice, Seychelles. Vous aurez noté que ce sont des territoires insulaires, et donc par définition entourés d’eau, pays pour lesquels l’économie bleue est, ou sera, une réalité.
Si les thématiques annoncées par Jean-Baptiste Lemoyne sont celles de la sécurité maritime et de l’économie bleue, ce n’est pas un hasard dans cette région du monde : l’occasion de faire valoir les atouts français en la matière, conforter notre leadership sur ces sujets. Nous allons donc profiter de la présidence française de la COI pour, dans une stratégie Indo-Pacifique voulue par le Président de la République, contribuer au travers du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, aux projets de la COI en lien avec le Cluster Maritime de La Réunion
Sébastien Camus : Le Cluster Maritime de la Réunion a pris immédiatement contact avec les autorités françaises pour faire part de sa volonté de participer activement aux travaux de la COI sur ces sujets de sécurité maritime, d’économie bleue, mais aussi de résilience climatique et de réduction des risques de catastrophe naturelles.
Très concrètement, un premier webinar sur le thème des métiers dans l’économie bleue est organisé par la COI le 16 juillet. Le Cluster Maritime de La Réunion y participera en mettant en avant son étude de Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences (GPEC) dans le secteur de la maintenance et construction / déconstruction navale mais aussi ses projets en termes d’attractivité des métiers de la mer.
Comment les acteurs économiques réunionnais considèrent-ils la montée en puissance de la Chine dans l’océan Indien et de quelle manière sont-ils, à ce jour, concernés par le phénomène ?
Sébastien Camus : La France semble en effet perdre du terrain par rapport à la Chine dans les relations avec nos pays voisins. La présidence française de la COI doit être l’occasion de renouer des liens diplomatiques forts avec les îles voisines de la Réunion et de transformer ce « soft power » en relais de développement économique pour notre territoire.
La Marine nationale a inscrit le thème de la sécurité environnementale à l’ordre du jour de cette édition 2021 de l’IONS. Quelle place prennent aujourd’hui les sujets environnementaux à La Réunion, quels sont les principaux sujets à l’ordre du jour et quels en sont les enjeux ?
Sébastien Camus : C’est au cœur du sujet en ce moment dans les différents services de l’Etat. Très prochainement, les conclusions d’une étude d’analyse des risques de sécurité maritime seront présentées et il en ressort déjà certains éléments. L’analyse a consisté à croiser la fréquentation des eaux autour de La Réunion, qui est en croissance forte ces dernières années, avec les différentes typologies d’incidents maritimes que l’on peut rencontrer (échouement, incendie, collision, avaries…) et leur fréquence d’occurrence au niveau mondial.
Ce croisement permet d’évaluer les risques les plus prégnants pour La Réunion. Compte tenu des capacités d’intervention dont l’Etat dispose, certains événements pourraient avoir des conséquences graves pour l’environnement.
Des recommandations pour améliorer nos capacités de détection et d’intervention vont être diffusées, pour mieux travailler à l’échelle régionale, pour mutualiser le suivi du trafic et réfléchir à écarter le trafic commercial des zones à enjeux de cohabitation ou environnementaux.
Les acteurs économiques réunionnais sont-ils tous aujourd’hui solidairement rassemblés et mobilisés autour de la notion d’économie bleue durable ?
Sébastien Camus : La dynamique autour des actions du Cluster Maritime de La Réunion montre que ces enjeux d’économie bleue sont bien intégrés par les entreprises réunionnaises et que ces dernières y voient des relais de croissance importants pour le territoire.
L’économie bleue est au cœur de l’action de la Région Réunion via le Schéma de Développement Economique, d’Internationalisation et d’Innovation (SRDEII). La France, en prenant récemment la présidence de la Commission de l’Océan Indien, a inscrit l’économie bleue au cœur de ses priorités d’actions. Les entreprises membres du Cluster Maritime de La Réunion entendent bien, en « jouant groupé » comme l’aurait dit notre ancien président Maurice Cérisola, prendre toute leur place dans ces projets. Des projets collectifs autour de la production d’Energies Marines Renouvelables (EMR), du dock flottant ou encore de certification pêche durable (label MSC), sont des exemples d’actions collectives en lien avec l’économie bleue durable.
Quels sont les grands projets en matière d’économie bleue (ports, pêche, construction navale, énergie…) à La Réunion ?
Sébastien camus : Pour faire écho à la réponse précédente, les grands projets structurants dans l’économie bleue durable sont en cours de réalisation et de maturation sur le territoire. Le Grand Port Maritime de la Réunion (GPMDLR) a, dans son projet stratégique 2019-2023, intégré des actions concrètes allant dans ce sens avec la perspective de devenir un port responsable et rayonnant à l’horizon 2030 par la préservation de l’environnement, le traitement d’un trafic de 8 millions de tonnes et le développement de la Zone Arrière Portuaire avec un potentiel de création de 1800 emplois. A court terme, l’acquisition d’un dock flottant pour la maintenance des navires à La Réunion va aussi permettre la structuration de la filière de maintenance.
En terme d’EMR, nous sommes sur des perspectives de développement sur l’éolien flottant et le système houlomoteur (avec des capacités identifiées dans le PPE Réunion). Concernant ces EMR, il y a une hypothèse de production de 2 à 10MW d’énergie marine (Energie thermique des mers – ETM 2-5MW et houlomotrice 0-5MW) à horizon 2028 et entre 0 et 40MW d’éolien flottant. Il est encore trop tôt pour que ces projets soient réalisés immédiatement, mais les phases d’études et de réalisation technique sont en cours et prennent du temps car on a besoin de lever les freins réglementaires et techniques pour implanter ces systèmes sur un territoire avec la spécificité géologique et météorologique que l’on connait (forte bathymétrie, période cyclonique…).
La pêche doit, de son côté, renouveler sa flotte vieillissante sur les segments de la pêche artisanale et de la pêche palangrière (navires de moins de 24 mètres). Elle pourrait profiter de la structuration de la filière industrielle navale pour construire des navires en lien avec une économie bleue durable (construction en local, perspective de création de filière de déconstruction navale, amélioration de l’attractivité du métier). Tout cela dans une cohésion régionale et européenne de soutien financier allant dans ce sens.
Nous n’avons pas évoqué les potentiels des innovations dans le secteur de la recherche (biotechnologies, monitoring environnemental, application des drones marins) mais La Réunion regorge de talents et de ressources dans ce domaine avec deux instituts de recherche dédiés à l’océan (Ifremer et IRD), l’université de La Réunion, les Bureaux d’études et les associations œuvrant sur des projets pour mieux comprendre les écosystèmes et les milieux exploités, pour la préservation du patrimoine naturel…
Peut-on réellement espérer que ces projets aient un effet résolument positif sur le marché de l’emploi ?
Sébastien Camus : Je pense que cette réponse est incluse dans les précédentes. Tous les projets structurants qui sont en train de voir le jour sur le territoire vont avoir besoin de compétences, de personnels qualifiés. Nous travaillons en menant des études de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) avec les différents partenaires (Grand Port de la Réunion, Ecole d’Apprentissage Maritime, REGION, ETAT…) pour que nous ayons les éléments nécessaires pallier ce besoin dans les années à venir.
Quelle relation entretenez-vous et quels projets développez-vous avec Mayotte ?
Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Depuis maintenant deux ans, le Cluster Maritime Français travaille avec la Direction « économie bleue » du Conseil Départemental de Mayotte, qui vient de publier son rapport « Développer l’économie bleue », dans la poursuite de son schéma régional de développement tourné vers les différents secteurs d’activités identifiés comme porteur de croissance.
Nous avons invité les représentants mahorais (et ils étaient présents) au salon Euromaritime en 2019 et aux Assises de l’économie de la mer, afin qu’ils puissent prendre la mesure des activités maritimes de l’hexagone et les mettre en perspective avec les atouts du territoire mahorais.
Le CMF travaille également avec les acteurs locaux et la CCI Mayotte pour aider à la structuration et au développement des activités maritimes dans le cadre d’un cluster maritime mahorais. Plusieurs ateliers de formation au management de cluster (comprendre : regroupement d’entreprises en mode projet, tous secteurs confondus, pas uniquement le maritime) en « phygital », ont eu lieu en 2020 et 2021, et nous y avons pris part pour apporter notre vision.
Il est pertinent pour ce département français de regarder quelles sont ses potentiels de croissance et compte tenu de ses activités maritimes, il y a bien un grand potentiel tant sur le volet économique qu’environnemental.
Sébastien Camus : Les difficultés de déplacements vers Mayotte ont empêché toute réelle collaboration mais nous sommes prêts à avancer main dans la main dès que les déplacements seront plus fluides. Il faut aussi pour cela que puisse se créer un homologue mahorais en bon et due forme, un Cluster Maritime Mayotte !
On sait les tensions qui existent avec Madagascar sur la question de la souveraineté sur les îles Eparses. Une question simple : ces îles sont-elles et doivent-elles rester françaises ?
Frédéric Moncany de Saint-Aignan : Il me semble que la question ne se pose plus. Les îles Eparses, c’est la France. Le Président de la République Emmanuel Macron, en octobre 2019, était venu visiter les îles Glorieuses, une grande première dans l’histoire des déplacements des présidents de la République. Tout un symbole, et hautement politique.
Quelques semaines plus tard, lors de nos Assises de l’économie de la mer, il a précisé dans son discours d’ouverture qu’«une station de recherche sera installée sur les îles Éparses dès l’année prochaine comme je m’y étais engagé et un programme prioritaire de recherche Océans et climat créé ».
Par ailleurs, par décret du 8 juin 2021 l’archipel des Glorieuses vient d’être classée comme 107e réserve naturelle, parmi les Eparses. C’est donc souligner à nouveau toute la considération que la France porte à l’exceptionnelle biodiversité de ces îles et qui nous oblige à en assurer une meilleure préservation et une meilleure protection face aux appétits étrangers.
La France a une responsabilité environnementale majeure et revendiquée sur ces territoires. Ce classement est aussi l’occasion d’identifier les potentialités de ces territoires pour améliorer notre connaissance de la biodiversité marine de cette région de l’Océan Indien. En la matière c’est vraiment un « hot spot ».
Les richesses de l’océan Indien : entre gestion durable et protection, par Magali Duval (Déléguée Ifremer pour l’océan Indien)
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Fin des années 1960. Un attaché de recherche de l’Ifremer est envoyé sur l’île de La Réunion afin de traiter un problème de poissons vénéneux. Depuis l’institut n’a jamais quitté l’île. A travers son large champ d’activités de recherche, d’expertise et d’innovation, l’Ifremer œuvre pour une exploitation durable des différentes ressources dans ce territoire riche d’une biodiversité exceptionnelle à préserver.
Les océans Indien et Austral représentent 30 % de la surface de la zone économique exclusive française. Situé entre les continents africain, asiatique et australien, ces vastes océans sont au cœur de forts enjeux sociétaux internationaux. Engagé de longue date auprès des acteurs des mondes institutionnel, académique et économique de l’île de La Réunion, l’Ifremer mène ici des projets contribuant à constituer un « océan » de données marines, à les partager avec l’ensemble de la communauté scientifique comme avec nos partenaires et à améliorer ainsi nos connaissances. Car pour mieux protéger l’océan Indien, encore faut-il bien le connaître !
Une expertise des risques géologiques
Depuis mai 2019, au sein du réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (REVOSIMA), l’Ifremer participe aux côtés de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’étude du phénomène sismovolcanique qui affecte Mayotte et du nouveau volcan sous-marin en formation à 50 km à l’Est de cette île. Entre mai 2018 et février 2019, plus de 1600 séismes de magnitude supérieure à 3,5 ont en effet été enregistrés à l’est de l’ile de Mayotte. Depuis le début du phénomène, les stations GPS placées sur Mayotte ont par ailleurs enregistré dans le même temps un déplacement de 21 à 25 cm vers l’est et un affaissement de 10 à 19 cm. A ce jour, 19 campagnes de surveillance ont été menée par le REVOSIMA. Les scientifiques ont ainsi découvert le volcan, suivi l’évolution du phénomène, précisé la localisation des tremblements de terre et caractérisé son évolution. En parallèle, la campagne de recherche Sismaore pilotée en janvier 2021 par le BRGM et Sorbonne Université a permis de mieux connaître le contexte géologique et sismique de l’archipel des Comores et de Mayotte ainsi que la nature et la chronologie des évènements. Lors de la campagne Géoflamme, pilotée par l’Ifremer et l’IPGP qui s’est achevée fin mai, des échantillons de roches et de fluides ont été prélevés. La zone a aussi été photographiée et filmée. D’autres campagnes de surveillance et de recherche sont prévues dans les mois à venir. La majorité de ces campagnes ont été réalisées par les navires de la Flotte océanographique française ; la Marine Nationale est également intervenue en assurant ou soutenant certaines campagnes avec le Beautemps-Beaupré et le BSAOM Champlain.
Connaître les ressources de poissons pour une exploitation durable
Depuis le début des années 2000, à La Réunion, les pêcheries exploitent à la ligne plusieurs centaines d’espèces de poissons démersaux, c’est-à-dire vivants à proximité du fond (mérous, carangues, capucins …). Les premiers signes d’une surpêche se font aujourd’hui ressentir. L’Ifremer cherche donc à diagnostiquer l’état de santé de ces populations de poissons afin de proposer des recommandations pour une exploitation durable. Cette démarche, nous l’appliquons aussi à plusieurs espèces de grands pélagiques (marlin noir, marlin bleu, marlin rayé, voilier, espadon). L’état actuel de ces populations est préoccupant pour la plupart d’entre-elles et les évaluations des stocks montrent des problèmes actuels ou à venir pour les niveaux d’exploitation. Pour mieux les protéger, en collaboration avec le CNRS et le Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de La Réunion, nous cherchons à mieux connaître leurs zones de reproduction.
Observer et suivre la pêche au quotidien
L’exploitation durable des ressources est un enjeu prédominant pour La Réunion. Depuis 2008, les activités de pêche sont suivies au sein du système d’informations halieutiques (SIH). Ce réseau d’observation d’échelle nationale permet d’avoir une meilleure connaissance des flottilles de pêche basées à La Réunion et des espèces capturées. Ces informations sont essentielles pour conduire nos missions de recherche et d’appui aux politiques publiques incluant la fourniture des données aux organisations régionales de gestion de la pêche, notamment la Commission des Thons de l’Océan Indien (CTOI).
Des technologies innovantes au service de la protection de l’océan Indien
Quel est état de santé des coraux de la côte ouest de La Réunion ? Pour le savoir, des scientifiques de l’Ifremer et d’autres organismes partenaires ont mené plusieurs projets pour développer des outils facilitant l’acquisition de données sur les récifs situés à des profondeurs dépassant rarement 20 m. En 2021, le robot sous-marin Vortex sera déployé sur des sites récifaux d’intérêt à La Réunion dans la zone des 50 – 70 m de profondeur. Equipé d’un appareil photo haute définition, il permettra la reconstruction des récifs coralliens en 3D. Sa caméra hyperspectrale permettra d’acquérir des données complémentaires à celles obtenues par télédétection aérienne.
Dans le même esprit, une nouvelle génération de balises pour suivre les jeunes tortues et mieux connaître l’utilisation de leurs habitats a été mise au point. De la vie des tortues marines, nous ne savons finalement pas grand-chose. Excepté que leurs habitats (plages, mangroves, récifs coralliens et herbiers) sont souvent victimes de l’urbanisation et des activités humaines. Les nouvelles informations collectées sont essentielles à la définition des mesures de conservation des tortues marines efficaces dans le cadre du Plan national d’action en faveur des tortues marines des territoires français du sud-ouest de l’océan Indien.
Veiller sur la qualité des eaux littorales
L’Ifremer a contribué à définir les méthodologies adaptées au suivi de la qualité des eaux de La Réunion et de Mayotte dans le cadre de la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE). Aujourd’hui, nous apportons un appui scientifique et technique à sa mise en œuvre via l’optimisation des suivis, la mise à jour des documents de prescription et des méthodes et la formation aux outils de gestion et de valorisation des données. Par ailleurs, nous participons aux comités de pilotage de plusieurs suivis environnementaux.
Un nouveau portail d’informations sur les océans Indien et Austral
Etat du milieu, présentation d’actions concrètes de protection et de restauration des écosystèmes marins, ou encore chiffres-clés factuels pour mieux appréhender ces milieux marins. Le système d’information sur le milieu marin (SIMM) coordonné par l’Office Français pour la Biodiversité (OFB) en lien avec l’Ifremer se décline depuis mai 2020 en région avec la mise en ligne du portail pour les océans Indien et Austral (SIMM-OIA). Ce nouvel outil permettra de tisser un lien citoyen et engagé avec le public qui aura ainsi un accès facilité à toutes les données disponibles.
La Seychelles Islands Foundation et l’Ifremer font équipe pour percer les mystères des mouvements des tortues juvéniles
Dans le cadre du projet « Indian Ocean sea Turtles » (IOT) piloté par l’Ifremer, la Seychelles Islands Foundation (SIF), qui gère, met en œuvre et coordonne toutes les recherches et la surveillance sur l’atoll d’Aldabra, participera au déploiement de nouvelles solutions technologiques de bio-immobilisation pour l’étude des tortues marines, en particulier les tortues vertes (Chelonia mydas), mais avec un intérêt pour d’autres espèces comme les tortues imbriquées (Eretmochelys imbricata). Ce partenariat s’inscrit dans le développement du premier réseau d’observation des mouvements des tortues marines dans le sud-ouest du bassin de l’océan Indien.
L’océan Indien, prochaine destination des Explorations de Monaco, par Robert Calcagno, (Directeur général de l’Institut océanographique – Fondation Albert 1er, Prince de Monaco, administrateur délégué de la Société des Explorations de Monaco) et Gilles Bessero (Directeur de la Société des Explorations de Monaco, membre de l’Académie de Marine).
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Peut-être moins visible que celui d’autres États, l’intérêt de la Principauté de Monaco pour l’océan Indien n’en est pas moins réel. Il est porté par l’importance qu’accordent S.A.S. le Prince Albert II de Monaco et Son gouvernement à la mise en œuvre des objectifs de développement durable de « l’agenda 2030 » de l’Organisation des Nations Unies. Cet intérêt se traduit par de nombreuses actions portées par différentes entités de la Principauté et relevant notamment de l’aide publique au développement, des coopérations bilatérales et de la préservation de l’environnement.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la mission « océan Indien », élément du programme « Monaco Explorations » qui sera l’une des contributions de la Principauté de Monaco à la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable 2021-2030. Ce programme est coordonné par la Société des Explorations de Monaco, une plate-forme collective financée par le Gouvernement Princier et qui réunit sous son égide, la Fondation Prince Albert II de Monaco, l’Institut océanographique, le Centre scientifique de Monaco et le Yacht Club de Monaco, au service de l’engagement de S.A.S. le Prince Souverain pour la connaissance, la gestion durable et la protection de l’Océan.
La mission concernera une zone comprise entre La Réunion, Maurice et les Seychelles avec trois objectifs :
- Comprendre par une démarche scientifique pluridisciplinaire l’état et le fonctionnement écosystémique de la zone explorée et conseiller les parties prenantes sous l’angle de la science de la durabilité.
- Partager par un programme de médiation ambitieux les enjeux et les connaissances avec le plus grand nombre, selon la maxime des Explorations de Monaco : « Réconcilier l’humanité et la mer ».
- Mobiliser les gouvernements, par l’action diplomatique en mettant à disposition les informations et analyses pour une gestion durable des espaces maritimes.
Il est prévu que la mission soit coordonnée avec un déplacement officiel dans la région de S.A.S. le Prince Souverain visant à renforcer les liens existants entre la Principauté de Monaco, la République de Maurice et la République des Seychelles. D’autres activités officielles du Prince Souverain en lien avec les objectifs de la mission, notamment Ses interventions dans différents forums traitant de la protection de l’Océan, pourront illustrer le contexte dans lequel s’inscrit la dimension politique de la mission.
La préparation du programme scientifique de la mission est orientée par les quatre thématiques principales des Explorations de Monaco : protection des coraux, protection de la mégafaune, aires marines protégées, nouvelles techniques d’explorations. Le programme scientifique visera à satisfaire en priorité les besoins des gouvernements de Maurice et des Seychelles tout en veillant aussi à une bonne articulation avec les instances et initiatives internationales et régionales concernées relevant de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques, dont le projet de cartographie océanique Nippon Foundation – GEBCO Seabed2030 et la poursuite jusqu’en 2025 de la seconde expédition internationale de l’océan Indien. Le programme scientifique mettra l’accent sur deux types d’espaces maritimes :
- La zone de gestion conjointe Maurice-Seychelles de Saya de Malha sur le plateau des Mascareignes, au-delà des zones économiques exclusives des deux Etats. La mission vise à réunir les éléments susceptibles d’aider à consolider la gouvernance partagée d’un des plus grands herbiers du monde qui abrite des écosystèmes peu connus. Cette zone est la cible prioritaire de la mission.
- Une sélection d’îles et de monts sous-marins. Il s’agit principalement de caractériser leur fonction de refuges pour la biodiversité et d’aider à sa préservation face aux impacts de la pression anthropique et du changement climatique.
L’élaboration du programme scientifique s’appuie sur la mobilisation de nombreuses entités de la communauté scientifique internationale : une demi-douzaine d’organismes français (CNRS, Ifremer, Institut de la mer de Villefranche-sur-Mer, IRD, Muséum national d’histoire naturelle, Universités de Montpellier et de la Réunion) et une vingtaine d’organismes répartis dans une dizaine d’autres pays. Elle associe fortement et naturellement toutes les entités concernées de Maurice et des Seychelles en veillant à favoriser la participation des étudiants et des jeunes chercheurs, notamment en prévoyant une école embarquée pendant la mission.
Les activités de médiation s’appuieront sur le programme de dissémination scientifique « Dialogue science-Décideurs pour une gestion intégrée des Environnements littoraux et Marins » (DiDEM) sur le bassin océan Indien occidental (Comores, Kenya, Madagascar, Maurice, Mozambique, Seychelles, Tanzanie), lancé fin 2020 sous la coordination de l’IRD avec le soutien financier des Explorations de Monaco. Le dispositif pédagogique prévoit des visites scolaires à bord du navire de recherche lors des escales, des directs avec le navire de recherche en mer, incluant des échanges avec les scientifiques, des échanges et des collaborations entre scolaires de Monaco et de France métropolitaine et leurs camarades de Maurice, des Seychelles et de la Réunion ainsi que l’élaboration et la mise à disposition d’outils éducatifs interactifs. La mission fera aussi l’objet d’une large couverture médiatique, par les médias traditionnels – presse écrite et télévision – comme par les réseaux sociaux. Elle devrait donner lieu à la réalisation d’un film documentaire destiné à une diffusion internationale ainsi qu’à l’écriture d’un livre d’auteur.
Afin de garantir que la mission met en œuvre une approche pluridisciplinaire et transdisciplinaire, incluant les sciences naturelles et sociales, conformément aux principes de la science de la durabilité, un comité d’orientation international est mis en place pour guider la préparation de la mission puis sa conduite et son exploitation. Il réunit quatorze experts de renommée internationale sous la présidence de Carl Gustaf Lundin, directeur exécutif de Mission Blue et précédemment scientifique principal du programme mondial marin et polaire de l’UICN.
Initialement prévue à bord du navire océanographique Marion Dufresne dont l’affrètement avait été envisagé en avril-mai 2021, la mission est reportée jusqu’à ce que les restrictions sanitaires résultant de la pandémie Covid-19 ne fassent plus obstacle à son déroulement, notamment pour les escales et les activités de médiation que celles-ci doivent permettre. Différentes possibilités d’affrètement d’un navire de recherche sont en cours d’instruction auprès d’opérateurs institutionnels et privés pour une reprogrammation au plus tôt en avril-mai 2022. C’est dans cette optique que le comité d’orientation a tenu sa réunion de lancement le 30 mars 2021 et adopté son plan de travail de manière à consolider le programme de la mission d’ici la fin de l’année.
Crédit photos de Robert Calcagno : Thierry Ameller / Institut océanographique et de Gilles Bessero : Magali Boussion / Explorations de Monaco.
Le dérèglement climatique accélère l’élévation du niveau des mers, en particulier dans l’océan Indien, par Jean-Marc Beynet
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Il y a 20 000 ans, à la fin de la dernière époque glaciaire, le niveau des mers du globe était en moyenne 120 mètres plus bas que son niveau actuel. Depuis cette époque, le climat se réchauffe pour des raisons astronomiques en modifiant le rayonnement solaire qui atteint notre planète Terre. Ce sont les cycles de Milankovitch, du nom du mathématicien et astronome qui a expliqué l’alternance des périodes glaciaires et interglaciaires durant le quaternaire. La glaciation se produit lorsque les hautes latitudes de l’hémisphère nord reçoivent un rayonnement solaire réduit pendant l’été.
Mais l’emballement des activités industrielles depuis plus d’un siècle dérègle le climat, augmente les températures et accélère l’élévation du niveau marin. Cette élévation moyenne était de 0,3 mm/an au XVIIIe siècle, avant l’ère industrielle, 0,4 mm/an au XIXe siècle, puis 1,7 mm/an au XXe siècle et enfin, 3,5 mm/an entre les années 2004 et 2015.
L’humanité ne pourra pas lutter contre la part du réchauffement climatique qui provient des cycles d’origine astronomique. En revanche, il appartient à l’homme de limiter ses rejets de CO2 dans l’atmosphère pour modérer ce réchauffement, comme cela avait été voté lors de l’Accord de Paris en 2015 (COP 21).
Montée des eaux et événements climatiques extrêmes
Dans le pire des scénarios, celui selon lequel l’émission des gaz à effet de serre continuerait à augmenter, l’élévation du niveau des mers et océans pourrait être de l’ordre de 8 à 16 mm/an à la fin du XXIe siècle. De telles valeurs sont considérables car elles conduiraient à une augmentation probable du niveau global moyen comprise entre +0,63 centimètre et +1,32 mètre d’ici 2100 et entre +1,67 mètre et +5,61 mètres d’ici 2300, selon une étude menée par les scientifiques Horton, Khan et Cahill, publiée en mai 2020 dans la Revue internationale Nature Research.
En France, plusieurs organismes travaillent aussi sur ces problématiques pour établir des prospectives à la fin du siècle : Météo-France, IFREMER, CNRS, CNES, CEA, CIRAD INRAE, MNHM, IPSL, BRLi, BRGM, etc. Ils contribuent en particulier à alimenter les rapports successifs du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat), dont le dernier remonte à septembre 2019, le prochain étant attendu pour juillet 2021.
Par ailleurs, d’après le GIEC, le réchauffement global des océans et de l’atmosphère augmente non seulement le niveau moyen des mers mais serait susceptible en outre, d’accroître la fréquence et l’ampleur des évènements climatiques extrêmes (tempêtes, cyclones dans les zones tropicales, inondations, sécheresse).
Les impacts sur les îles et ports de l’océan Indien
Les îles de l’océan Indien ont des origines très diverses dans leur formation ce qui explique que leurs reliefs sont plus ou moins marqués. Certaines d’entre-elles sont montagneuses, tandis que d’autres sont au contraire très basses sur l’océan, comme les atolls par exemple.
Dans le sud-ouest de l’océan Indien, il y a des îles volcaniques : La Réunion, l’Île Maurice et Mayotte. La grande île de Madagascar est elle-même un micro continent qui s’est détaché de l’Afrique il y a 65 millions d’années. Autour de Madagascar, les Îles Eparses de la France, sont parfois assez basses sur l’eau : Juan de Nova, Bassas da India et l’île Europa dans le canal du Mozambique, les Glorieuses à l’ouest du cap d’Ambre de Madagascar et Tromelin à l’est de Madagascar, au nord de la Réunion. Ces îles constituent l’un des cinq districts des TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises), avec les îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam, l’archipel Crozet, les îles Kerguelen et la Terre Adélie. Toujours dans l’océan Indien, d’autres îles sont granitiques comme l’archipel des Seychelles, qui sont parmi les plus vieilles îles du monde. Plus au nord et proches du Sri Lanka, les Maldives sont des atolls dont le point culminant ne se trouve que 2,30 mètres au-dessus de l’océan.
Selon une étude de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) publiées en mai 2019, sur la période 1950-2009, un réchauffement net des températures océaniques a été observé dans l’océan Indien occidental (OIO) avec une augmentation de 0,60 °C ainsi que de fréquentes anomalies thermiques. Sur la même période, une augmentation de température de 0,65 °C a été relevée pour l’ensemble de l’océan Indien, un réchauffement supérieur à celui observé par ailleurs dans les océans Atlantique et Pacifique. L’océan Indien est le plus prolifique de tous les océans pour la génération des cyclones tropicaux. Aujourd’hui, près de 9 cyclones surviennent en moyenne chaque année dans l’OIO. Si l’on n’observe pas d’augmentation du nombre de tempêtes tropicales dans ce bassin cyclonique, la proportion des tempêtes atteignant le stade de cyclones tropicaux (vents dépassant les 165 km/h) est à la hausse depuis 1975. Toujours selon l’étude IRIS de 2019, alors que la proportion de cyclones intenses devrait continuer d’augmenter, leur fréquence devrait toutefois décroître dans l’OIO d’ici la fin du siècle. On attend également un élargissement de la zone d’impact cyclonique vers le Nord, dans des zones jusqu’à présent épargnées par ces phénomènes (Seychelles et nord malgache, etc.).
Une grande vulnérabilité
Toutes ces îles et leurs ports sont vulnérables à l’élévation du niveau de l’océan qui s’accélère en raison du réchauffement climatique. Il faut craindre non seulement la submersion marine, mais aussi l’acidification des océans et ses impacts sur la pêche et les coraux. Même les îles hautes dans leur partie centrale seront impactées sur leurs littoraux qui sont parfois bordés de lagons et mangroves. Les villes portuaires qui sont les poumons économiques de ces îles pour leurs échanges commerciaux, devront, elles aussi, s’adapter pour ne pas être submergées en partie dans les décennies à venir.
Notons que certaines s’y préparent déjà avec l’aide de l’AIVP (Association Internationale des Villes Portuaires) qui, dans son Agenda 2030, a classé en priorité 1 l’adaptation au changement climatique. Dans sa newsletter de mars 2021, l’AIVP a d’ailleurs publié un article sur ce sujet : « Les îles du sud-ouest de l’océan Indien, face à l’élévation du niveau de la mer ».
En plus des ports, les aéroports ont souvent été implantés en bordure du littoral, précisément pour s’éloigner des reliefs des îles montagneuses. Et dans certains cas, les infrastructures aéroportuaires sont calées à peine plus haut que les lagons ou mangroves et devront être surélevées pour s’adapter d’ici la fin du siècle.
En savoir + : La vie des îles autour du monde – Naissance, histoire, présent et futur probable…, Jean-Marc Beynet, Nombre7 Editions (Nîmes) – Mars 2021
Dans ce livre, l’auteur Jean-Marc Beynet décrit la genèse et l’histoire de nombreuses îles, en Méditerranée, mer Baltique, mer du Nord, Manche, Atlantique, mer des Caraïbes, océan Pacifique et océan Indien. Il donne une approche prospective en tenant compte de l’élévation future du niveau marin. Il détaille non seulement les impacts physiques sur les îles et leurs ports, mais il donne aussi une approche des impacts sur les populations. D’autres risques spécifiques à certaines de ces terres insulaires sont abordés également dans cet ouvrage, comme par exemple dans l’océan Indien, les risques cycloniques, le volcanisme, les séismes, tsunamis… Ce livre présente aussi les coutumes des habitants, la philosophie de leur vie insulaire, le respect de l’environnement. Il rappelle que les petits Etats et territoires insulaires (PETI) seront parmi les espaces les plus impactés par le changement climatique alors que leurs contributions aux émissions de gaz à effet de serre a été négligeable à l’échelle mondiale.
Mais il faut néanmoins souligner que depuis le XXe siècle, l’augmentation des catastrophes naturelles est liée non seulement au changement climatique, mais aussi à l’accroissement des populations et de l’urbanisation dans les zones exposées aux risques. Le changement climatique accélère l’élévation du niveau de l’océan et aggrave la submersion marine des littoraux. En revanche, d’autres risques naturels comme le volcanisme, les séismes et les tsunamis ne seront pas aggravés par le réchauffement climatique, car ils trouvent leurs origines dans la tectonique des plaques. C’est d’ailleurs un séisme de ce type survenu à Banda Aceh en Indonésie, en décembre 2004, qui a provoqué un tsunami qui s’est propagé dans l’océan Indien, conduisant à un bilan très lourd de plus de 220 000 morts, dont 30 000 victimes sur le littoral du Sri Lanka et en partie sur les atolls des Maldives.
À la découverte des diazotrophes de l’océan Indien
Dans le droit fil du numéro spécial de Marine & Océans consacré à l’océan Indien (voir le numéro et son « extension numérique » sur la page d’accueil), Atlantine Boggio-Pasqua nous emmène à la découverte des diazotrophes. Ces microbes, essentiels à la santé de l’océan, font l’objet d’une étude en mer d’Arabie et dans le golfe du Bengale dans le cadre du projet IDEFIX mené par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et soutenu par la Fondation Pure Ocean.
Par Atlantine Boggio-Pasqua
Coordinatrice scientifique de la Fondation Pure Ocean
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L’azote est un élément essentiel pour tous les êtres vivants : il permet notamment aux plantes et aux animaux de synthétiser leurs protéines et leur ADN. Il est le principal constituant de notre atmosphère (78% en volume) sous forme de diazote (N2). Par dissolution, ce gaz est également la forme la plus courante de l’azote dans l’océan. Cependant, rares sont les organismes marins qui peuvent l’utiliser tel quel pour leur croissance ! Seuls quelques microbes connus à ce jour sont capables de transformer ce diazote dissous en des formes assimilables par tous les êtres vivants marins : on appelle ces microbes les « diazotrophes », et leur action « la fixation de l’azote ». Véritables fertilisants naturels pour l’océan, ils rendent alors l’azote accessible à toute la chaîne alimentaire, en commençant par le phytoplancton. Ce même phytoplancton qui, par photosynthèse, contribue à faire de l’océan un précieux puits de carbone.
Un phénomène encore peu étudié dans l’océan Indien
Les différents mécanismes, acteurs et contrôles de la fixation de l’azote dans l’océan sont encore à préciser, en particulier dans l’océan Indien qui a fait l’objet de très peu d’expéditions océanographiques dédiées, comparé à l’Atlantique et au Pacifique. Son climat unique de mousson donne notamment lieu à des conditions environnementales très contrastées qui affectent probablement le cycle de l’azote. Mené par l’IRD, le projet IDEFIX (« Dinitrogen Fixation in the Indian Ocean: an interbasin and seasonal comparison”) a pour objectif de mieux comprendre le processus naturel de fixation de l’azote dans l’Océan Indien. L’étude porte sur deux bassins, la Mer d’Arabie et le Golfe du Bengale, et vise à comparer l’intensité de leur fixation d’azote ainsi que leur diversité en diazotrophes en fonction de la saison des moussons. L’océan Indien se réchauffe plus vite que n’importe quel autre bassin océanique, tout en faisant face à une pression démographique grandissante. Ses ressources vivantes étant ainsi menacées, il est urgent de mieux comprendre les processus qui alimentent les chaînes alimentaires de cette région du globe, de même que leur couplage avec le climat. Cette étude comblera des lacunes essentielles dans les modèles actuellement utilisés par les océanographes, tout en précisant le rôle joué par l’océan Indien dans la régulation du climat régional et mondial.
Une collaboration franco-indienne
Le projet s’appuie sur une collaboration franco-indienne inédite, avec comme porteurs du côté français la chercheuse IRD Mar Benavides, basée à l’Institut Méditerranéen d’Océanologie (MIO) à Marseille, et du côté indien le chercheur Arvind Singh, basé au Laboratoire de Recherche Physique (PRL), à Ahmedabad. Leur approche transdisciplinaire mêle océanographie biologique, chimique et physique, et s’appuie sur des technologies de pointe pour identifier les espèces diazotrophes et révéler leur fonctionnement. « Avec IDEFIX, des techniques de séquençage haut débit vont être déployées notamment pour découvrir de nouvelles espèces de diazotrophes propres à l’océan Indien”, précise Mar Benavides. En cette première année du projet, son équipe au MIO s’intéresse à des échantillons collectés à bord du navire océanographique Marion Dufresne entre janvier et mars dernier. D’abord isolées, identifiées et quantifiées, des souches diazotrophes de ces échantillons sont ensuite cultivées pour étudier leur métabolisme dans différentes conditions environnementales. « Celles de l’Océan Indien étant très particulières, on peut s’attendre à un fonctionnement différent de ces diazotrophes par rapport à ceux qu’on trouve dans les autres océans”, explique Mar Benavides. En 2022 et 2023, le projet prévoit la participation des chercheurs français et indiens à la seconde Expédition Internationale dans l’Océan Indien, afin d’effectuer des mesures in situ. “Depuis la première Expédition Internationale dans l’Océan Indien en 1962-1965, plus de 50 ans se sont écoulés”, souligne Mar Benavides, “il est aujourd’hui grand temps d’y retourner pour étudier cet océan méconnu, dynamique et fascinant, qui pourrait apporter des réponses aux questions actuelles sur le rôle des océans dans le changement climatique”.
En savoir +
- IDEFIX : www.oceanbridges.net
- Profil Twitter: @BridgesOcean
- Site Internet : www.pure-ocean.org