Paris et Londres vont développer leur coopération maritime, par Aurélien Duchêne

Crédits photo : Photo de Aleks Marinkovic sur Unsplash

Premier événement de ce genre depuis 2018, le 36e sommet franco-britannique qui s’est tenu le vendredi 10 mars à Paris marque une véritable relance de la relation entre la France et le Royaume-Uni. Celle-ci intervient après plusieurs années de mésentente cordiale, voire de vives tensions qui ont culminé sous le mandat de Boris Johnson et sous celui, historiquement court, de Liz Truss. Cette dernière avait néanmoins accepté la main tendue par Emmanuel Macron en profitant de l’opportunité du lancement de la Communauté politique européenne (1) pour réchauffer les relations avec Paris.

Avocat du Brexit lors de la campagne référendaire de 2016 mais partisan d’une politique étrangère plus apaisée envers le grand voisin d’Outre-Manche, son successeur au 10 Downing Street, Rishi Sunak, a, lui, engagé dès le début de son mandat à la tête du gouvernement britannique, un rapprochement avec la France et son Président. Un rapprochement franco-britannique souhaité de longue date par la partie française, et qui s’inscrit également dans un dégel des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne que symbolise l’accord récent au sujet de l’Irlande du Nord.

C’est donc dans un contexte de véritable « reset » des relations entre la France et le Royaume-Uni qu’a eu lieu ce sommet présenté de part et d’autre comme fructueux, suscitant par ailleurs des comparaisons avec les turbulences que traverse le couple franco-allemand depuis des mois.

Des enjeux maritimes communs

Qu’en est-il cependant des questions maritimes, alors que la France et le Royaume-Uni sont les deux principales puissances maritimes d’Europe, ne serait-ce qu’au plan militaire ou au regard de leurs territoires et intérêts ultramarins ?

Le communiqué conjoint publié par les exécutifs français et britannique suite au sommet du 10 mars accorde une importance particulière à ces enjeux, qui se retrouvent dans toutes les thématiques abordées par Emmanuel Macron et Rishi Sunak.

Ainsi d’abord de la condition sociale et de la protection des « gens de mer », que les deux pays entendent améliorer avec pour priorités la santé et la sécurité : la protection des gens de mer « contre l’exploitation » devrait être traitée dans le cadre de deux projets de lois que les gouvernements français et britanniques présenteront aux deux Parlements nationaux.

Soulignant naturellement que Paris et Londres réaffirment leur « attachement à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer », le communiqué évoque également de nouvelles coopérations en matière de lutte contre la pêche illégale, de défense de la liberté de navigation, et en matière de sécurité intérieure avec l’exemple du transport maritime de passagers.

Dans ce dernier domaine, les deux capitales ont rappelé l’entrée en vigueur cette année de l’Accord relatif à la coopération sur les questions de sûreté maritime et portuaire, portant spécifiquement sur les navires à passagers dans la Manche, signé en juillet 2021, et entendent également organiser un exercice maritime anti-terroriste avant la fin de l’année.

S’agissant des questions migratoires, qui ont fait l’objet de tensions et de crispations ces dernières années, Paris et Londres conviennent de renforcer leur coopération (notamment sur la base du traité de Sandhurst signé 5 ans plus tôt), ce qui inclut, au plan maritime, de « mettre un terme » aux traversées de la Manche, en commençant par en « réduire considérablement le nombre » chaque année. L’annonce d’un accord financier – avec le versement de 500 millions d’euros sur cinq ans à la France – vient, entre autres, crédibiliser les annonces en matière de lutte contre les traversées de petites embarcations. Il s’agit également de sauver des vies en mer, en évitant « de nouveaux drames humains dans la Manche », avec une nouvelle initiative de coordination de zone basée à Lille, et la quête d’un nouvel accord entre l’UE et le royaume.

Une coopération navale renforcée

Parmi leurs projets de coopération dans le domaine de l’armement, la France et le Royaume-Uni entendent relancer le programme de futur missile antinavire/missile de croisière (FMAN/FMC), avec l’objectif de « présenter une future capacité de croisière d’ici 2030 ». Ce futur missile remplacerait les Exocet, les Scalp de MBDA, les Harpoon ou encore les Storm Shadow. Le souhait d’une plus grande synergie dans les projets de système de combat aérien du futur (programmes SCAF et Tempest) portés par les deux pays aurait également une dimension aéronavale évidente. Les deux pays s’engagent, en outre, à améliorer l’interopérabilité des hélicoptères embarqués et à développer conjointement des véhicules maritimes autonomes.

L’une des annonces les plus importantes de ce sommet franco-britannique concerne la volonté des deux Etats d’assurer une présence européenne plus régulière dans la région indopacifique grâce à une meilleure coopération entre les groupes aéronavals des deux pays, et de mieux coordonner leurs déploiements militaires maritimes entre eux et avec d’autres pays européens.

Pour défendre une région indopacifique « libre et ouverte », la France et le Royaume-Uni entendent intensifier leur dialogue autour des enjeux régionaux, à commencer par la sécurité économique et la « stabilité stratégique ». Les deux pays souhaitent également poursuivre le dialogue et les partenariats avec les Etats et organisations locaux, tels l’ASEAN dont ils soutiennent la vision pour la région indopacifique, et le Forum des îles du Pacifique dont ils appuient la Stratégie pour un continent pacifique bleu à l’horizon 2050. Les deux Etats entendent également mieux coopérer dans l’aide aux petits États insulaires en voie de développement, dans des domaines tels que la résilience économique ou l’accès aux financements. Paris et Londres entendent aussi développer leur coopération dans les Caraïbes, en particulier en matière de lutte contre la criminalité organisée et de réponse aux catastrophes.

Alors que le soutien commun à l’Ukraine face à l’agression russe occupe une large partie des déclarations de coopération, le communiqué cite, entre autres actions, la formation conjointe de troupes de marine ukrainiennes.

Protéger les océans

Dans un tout autre domaine, la mise en place d’un comité mixte pour les sciences, la technologie et l’innovation, visant à accroître encore les coopérations franco-britanniques existantes, pourrait profiter à la recherche et à l’innovation dans le secteur maritime.

Les nouvelles coopérations franco-britanniques en faveur de l’environnement couvriront des aspects maritimes de la transition écologique, avec la future mise en place de voies maritimes zéro émission entre des ports des deux pays, un soutien supplémentaire à la décarbonation des transports (incluant donc, là encore, les transports maritimes), et le développement des énergies renouvelables en mer.

En vue de la prochaine Conférence des Nations unies sur les océans que la France accueillera à Nice en 2025, la France et le Royaume-Uni entendent coopérer « pour protéger les océans et promouvoir un programme d’action ambitieux », en particulier via la poursuite des négociations pour durcir la lutte contre les pollutions par les plastiques et la promotion de « nouveaux instruments de gestion des aires dans le cadre de l’accord sur la diversité biologique marine des aires situées au-delà des zones de juridiction nationale ». Parmi les initiatives et organisations dont les deux pays entendent contribuer au financement, figure l’Alliance mondiale pour les océans.

Les enjeux maritimes occupent donc une place importante dans cette relance des relations franco-britanniques dont l’ambition va au-delà d’un simple dégel. Certes, les annonces faites au sujet de l’alliance AUKUS lors de la visite de Rishi Sunak aux Etats-Unis sont venues rappeler, trois jours seulement après le sommet franco-britannique du 10 mars, que le Royaume-Uni va continuer de se tourner vers ses alliés anglophones du grand large pour des projets particulièrement structurants dans le domaine naval. Toujours dans le domaine militaire maritime, le volontarisme affiché par Paris et Londres tranche cependant avec les difficultés et frustrations de la relation franco-allemande dans le même domaine. La volonté de mieux coopérer autour des intérêts communs franco-britanniques dans la région indopacifique est, à ce titre, particulièrement illustrative.

  1. L’idée de la Communauté politique européenne (CPE) a été lancée par Emmanuel Macron en mai 2022 à l’occasion de la Conférence sur l’avenir de l’Europe avec pour objectif de favoriser le dialogue et la cohésion entre les pays européens dans le contexte politique économique et social dégradé né de la guerre en Ukraine. Son premier sommet a réuni à Prague, le 6 octobre 2022, les dirigeants de 44 pays européens. Les prochains se tiendront en Moldavie, en Espagne puis au Royaume-Uni. Source www.vie-publique.fr Direction de l’information légale et administrative .

Par Aurélien Duchêne

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