À l’aube de cette année 2026 qui invite naturellement au renouveau et à la prise de bonnes résolutions collectives, la France, dépositaire du deuxième domaine maritime mondial et puissance maritime à part entière, se heurte encore à ses propres pesanteurs. Les délais administratifs s’allongent à l’excès, la coordination entre administrations et acteurs privés reste trop complexe et bureaucratique, et les financements civils et militaires avancent en parallèle, au lieu de converger vers des objectifs communs favorisant les synergies. Ces blocages structurels retardent des projets stratégiques décisifs pour notre avenir, fragilisant directement notre souveraineté dans un monde où la compétition internationale, chinoise, américaine ou européenne, s’accélère, avec des infrastructures qui, ailleurs, émergent en quelques mois.
Nos atouts sont pourtant nombreux et décisifs avec par exemple des ingénieurs de haut niveau, des armateurs au top de la qualité, une industrie navale – civile et militaire – de premier rang, des chercheurs de renommée mondiale, des startups audacieuses, des ports efficaces, une filière nautique leader mondial, une marine nationale omniprésente, et bien sûr des territoires ultramarins riches en ressources et en potentiel stratégique… Ensemble, ils forment un écosystème innovant et reconnu internationalement, au dynamisme illustré par des initiatives phares comme l’Index Blue Tech piloté par le Cluster maritime français.
La France porte de fait une ambition technologique affirmée, démontrée année après année par des innovations concrètes et exportables dans de nombreux domaines : les énergies marines renouvelables avec un éolien offshore en pleine expansion, la robotique sous-marine de pointe, le biomimétisme inspiré du vivant océanique, l’exploitation et l’analyse des données marines pour la veille stratégique, l’économie circulaire appliquée aux déchets maritimes…
Pour que cette ambition prenne toute sa dimension, la mise en place d’un cadre stratégique stable, clair et durable s’impose comme une évidence. À cet égard, la loi pluriannuelle d’orientation et de programmation maritime constitue un outil essentiel et attendu : elle doit permettre de définir, sur le temps long, des priorités nationales cohérentes, d’harmoniser les financements publics et privés ainsi que les procédures administratives, et d’inscrire définitivement le maritime parmi les piliers stratégiques de la France, au même titre que la défense nationale ou l’énergie, avec des engagements budgétaires clairs et contraignants.
Souhaitons, en ce début d’année, que les engagements officiels, solennellement pris, notamment les décisions du CIMER 2025, telles que le fléchage précis des 90 ETS(1) pour soutenir les filières critiques, se traduisent enfin concrètement sur le terrain. Ce passage à l’action est crucial pour restaurer durablement la confiance des entreprises françaises, trop souvent déçues, et renforcer ainsi la compétitivité de la France maritime face à une concurrence mondiale impitoyable.
L’enjeu dépasse le cadre national : notre stratégie doit s’inscrire dans une dynamique européenne ambitieuse et coordonnée incluant une relation renforcée avec les institutions et les financements européens, fondamentale pour mutualiser les efforts. Car, malgré ses atouts indéniables, le maritime français demeure sous-financé et trop fragmenté à l’échelle européenne.
La construction navale, pilier de notre souveraineté industrielle, doit demeurer au cœur des ambitions nationales et européennes. De même, l’accélération du développement de navires à propulsion bas carbone ainsi que l’implantation d’unités industrielles autour des ports multifonctions constituent des piliers incontournables de cette montée en puissance collective. La coordination renforcée des investissements industriels et « portuaires-territoriaux » doit synchroniser efficacement les efforts entre innovation technologique, décarbonation massive et essor durable des bassins maritimes.
Le début d’année 2026 doit être le point de départ d’une ambition partagée et résolument offensive : faire de nos chantiers navals des champions incontestés de la Blue-Tech mondiale, mobiliser massivement les financements de la Banque européenne d’investissement en faveur de flottes décarbonées, et faire de nos ports de véritables hubs de logistique. La France sera-t-elle un leader continental déterminé ou un suiveur résigné sur la scène mondiale ? Le choix se joue dès maintenant pour obtenir des résultats concrets à l’horizon 2030.
1 – ETS : Emissions Trading System. En français : Système d’échange de quotas d’émission. C’est le marché carbone mis en place par l’Union européenne, où les entreprises doivent acheter des quotas de CO2 pour compenser leurs émissions, réduire leurs émissions pour limiter leurs dépenses ou vendre leurs quotas si elles polluent moins que prévu. Le secteur maritime a commencé à être intégré dans l’EU ETS en 2024.




