Nous sommes maintenant 149 à bord du USS Amundsen Scott. Une vingtaine sont encore à McMurdo ou en route. La « traverse » (South Pole traverse : convoi de ravitaillement terrestre, deux à trois par an) est encore à 250 miles et espère être ici pour célébrer Thanksgiving avec nous. Il y en aura trois, peut-être quatre pour cet été austral. Elles nous apportent nos 440 000 gallons de fuel (1,6 million de litres), mais aussi 16 motoneiges neuves, et 3 ou 4 bulldozers et chargeurs à roues en plus du reste des appros (nourriture, boissons, vêtements grands froids, pièces détachées…). Les longs couloirs de notre vaisseau immobile sont étrangement vides. Le personnel est au travail, dehors ou dans les bureaux.
Zzzzzzzzzzzzzzz, ponk, zzzzzzzzzzzzzzzz, ponk… un robot aspirateur nettoie le couloir, d’un mur à l’autre. Son moteur ronronne. À chaque mur qu’il percute, son contacteur électrique envoie une commande. Il pivote et repart dans la direction opposée, progressant de 50 cm chaque fois. En Amérique, tous les aspirateurs automatiques sont appelés Roomba, le nom du premier modèle vendu à des millions d’exemplaires. Le Roomba est arrivé au Pôle Sud pour y faire son boulot : nettoyer les longs couloirs, retourner sur sa base et recharger sa batterie. Recommencer. D’un mur à l’autre, encore et encore : Zzzzzzzzzzzzzzz, ponk, zzzzzzzzzzzzzzzz, ponk…
« C’est Dimanche, jour de repos »
C’est dimanche. Pour la majorité c’est notre day off, notre jour de repos. On travaille 6 heures par jour et 6 jours par semaine. Je me suis levé à 5 h 30, comme d’habitude. Tout le monde, ou presque, fait la grasse matinée. Je me suis coupé les cheveux et ai taillé ma barbe d’un mois… déjà un mois que je suis parti ! Le dimanche, c’est le jour du brunch. Le petit-déj et le déjeuner sont combinés en un immense buffet (Brunch = breakfast + lunch). Cela n’est pas compatible avec mon régime « fibres » et je n’ai pas à attendre. Je trouve une banane, un chausson aux pommes, un avocat encore gelé que je mangerai plus tard, un café, un verre d’eau, mon Time Digest imprimé (les infos d’hier) et procède avec ma routine matinale. Le temps est pourri et on voit à peine les drapeaux du Pôle cérémonial. En sortant de la salle à manger (the Galley), je regarde par une ou deux ouvertures de l’autre côté du bâtiment. C’est bien sûr la même chose… Le blizzard crée une sorte de brouillard. La visibilité est limitée. La température a baissé, mais au vent il fait toujours froid. Le bout des doigts de ma main droite commence à peler, me rappelant encore que le temps de quelques photos sans gants au Pôle cérémonial a suffi pour me les geler.
Zzzzzzzzzzzzzzz, ponk, zzzzzzzzzzzzzzzz, ponk… cette fois-ci, c’est moi. Je me traîne dans les couloirs, les deux niveaux, d’une fenêtre à l’autre… Zzzzzzzzzzzzzzz, ponk, zzzzzzzzzzzzzzzz, ponk… que vais-je faire de ma journée ? Je suis maintenant dans la grande salle de conférence, j’écoute « Breakfast in America » de Supertramp pendant que je tape ce blog. J’aimerais vous en dire plus sur le Pôle, la science, les bâtiments… pas aujourd’hui. C’est mon jour libre et le sous-marin est scellé. Je vais certainement aller aider dans le « dish pit » aux cuisines et aider le personnel de salle à faire la vaisselle… après ça, on verra… peut-être le tunnel et l’igloo ? Aller dehors ? Après tout j’ai ma radio ! Ce soir je fais une présentation sur l’ile de la Passion-Clipperton, mon île!
Les arches du Pôle
La station précédente, le Dôme, avait deux hangars et une soute à carburant en annexe. Notre station a été construite de l’autre côté de ces structures afin de préserver la continuation des opérations pendant la construction. Un autre hangar fut rajouté, un nouveau garage-atelier. Le Dôme fut décommissionné et démonté en 1975 et notre station actuelle devint opérationnelle. Les hangars ont un profil en demi-cercle et sont appelés « les arches ». La première arche contient la station électrique et ses gros générateurs Caterpillar. La deuxième sert au stockage de nos vivres surgelées et n’est pas chauffée. Ses portes restent souvent ouvertes. Dans son alignement se trouve la soute à carburants. La troisième arche est le VMF (Vehicle Maintenance Facility), le garage. Les trois sont maintenant entièrement recouvertes de glace. Leur accès normal se fait par la rampe en pente qui donne accès aux portes du garage et des appros. L’accès à la station électrique se fait par l’intérieur des deux arches mais aussi par l’intermédiaire d’un tunnel relié à la station. En effet, de la station, il est possible d’accéder aux arches sans sortir dehors. L’accès nous protège du vent, du blizzard, mais pas du froid. À chaque extrémité de la station, nous avons des cages d’escaliers. La cage d’escalier qui mène au tunnel est appelée le « beer can », la canette de bière, à cause de sa forme et de sa couleur aluminium. Elle n’est pas chauffée et ses escaliers descendent en dessous du niveau de la glace pour y rejoindre un long tunnel éclairé et balisé, doté d’un plancher en contreplaqué. Pas de vent, certes, mais il y fait très froid.
À mi-chemin entre la station et la centrale électrique, nous y trouvons l’entrée d’un tunnel de glace où les charpentiers passent 4 à 5 heures par jour pour l’allonger. À coup de tronçonneuses, ils coupent des blocs de glace qui sont ensuite évacués à l’extérieur. Ce tunnel permettra l’acheminement des canalisations du futur Rodwell, ce puits sous la glace qui nous fournit notre eau potable. Le principe d’un puits Rodwell (Rodriguez Well, le nom de l’inventeur) est simple : une cavité est creusée en profondeur dans la glace, de l’eau chaude y est injectée, la glace fond et est pompée en surface. Cela fonctionne pendant des années, jusqu’au jour où la cavité est trop grande. Le travail des charpentiers est dément. 4 à 5 heures par jour, par –50 °C, tronçonneuses à la main. Tout le monde sait qu’un charpentier au Pôle travaille la glace et que son outil de prédilection est une tronçonneuse !
Retour au chaud. En attendant 18 h et ma présentation d’un documentaire lié à l’Antarctique, ma cinquième depuis le premier novembre, je reprends ma routine de la journée : Zzzzzzzzzzzzzzz, ponk, zzzzzzzzzzzzzzzz, ponk…




