Les saumons des terres indiennes au menu de la Cour suprême américaine

Bien sûr, ils ont fait ce voyage sans quitter leur majestueuse salle d’audience aux colonnes de marbre sur la colline du Capitole. Mais les débats les ont emmenés, photos à l’appui, jusque dans le lit des torrents qui dévalent de l’autre côté des Rocheuses.

Ce transfert a aussi été temporel. En effet, pour saisir l’enjeu de la question à trancher pour la haute cour, il faut revenir au XIXe siècle.

C’est le siècle de la conquête du Far West, des colons aventuriers, du chemin de fer des grandes plaines, du télégraphe et des guerres indiennes.

Au milieu des années 1850, toutes les terres de l’Amérique ne sont pas encore des Etats rattachés à l’Union.

On trouve notamment, au nord-ouest du pays, le « Territoire de Washington ». Son premier gouverneur, Isaac Stevens, est vivement controversé tant il se montre intraitable envers les Amérindiens.

– Chasse sacrifiée, pêche préservée –

Réprimant férocement les révoltes, le gouverneur Stevens contraint les tribus à signer des traités qui les spolient de leurs territoires de chasse.

Retirés dans des réserves, les Indiens conservent en compensation un droit de pêche dans les cours d’eau traversant leurs espaces. Les saumons abondent alors.

En détail, le traité leur confère un « droit de prélever du poisson, à tous les endroits et terrains habituels et coutumiers… en commun avec tous les citoyens ».

Nouveau bond dans le temps, cette fois en avant: en ce début de XXIe siècle, l’Etat de Washington compte toujours des réserves indiennes, dont les habitants se plaignent de la chute des populations de saumons.

Selon eux, la pénurie est accélérée en raison des canalisations souterraines par lesquelles les rivières traversent les centaines de routes asphaltées, témoignant du développement économique.

Ces conduites, qui débouchent en surplomb des cours d’eau, empêchent les saumons de remonter les rivières pour se reproduire, ou de les descendre vers la mer, ainsi que l’a montré une étude en 1997.

– 17 ans de combat judiciaire –

Tel est le point de départ du long combat judiciaire lancé en 2001 par 21 tribus indiennes, soutenues par le gouvernement des Etats-Unis en tant que garant des traités fédéraux. Leur adversaire commun: l’Etat de Washington.

Les plaignants affirment que le texte du traité originel implique que les réserves de poisson soient toujours suffisantes pour nourrir de façon raisonnable les tribus.

Les Amérindiens ont gagné en première instance (2007) et en appel (2016), la justice ordonnant par deux fois la suppression des conduites canalisant les rivières.

Les élus dirigeant l’Etat de Washington ont manqué de s’étrangler à chacun de ces revers.

Retirer toutes les canalisations, au nom de la survie des saumons et au nom du respect d’un vieux traité de l’époque coloniale, coûtera à l’Etat deux milliards de dollars, assurent-ils. Un montant discuté.

D’où la troisième manche, décisive, devant la Cour suprême.

Noah Purcell, l’avocat général de l’Etat de Washington, a assuré que l’Etat n’avait pas comme objectif l’extinction des saumons, mais leur protection.

Toutefois, a-t-il plaidé, exiger le remplacement des canalisations est « déraisonnable ».

« On doit même remplacer les canalisations que les saumons ne peuvent même pas atteindre », a-t-il dénoncé.

En face, les avocats du gouvernement fédéral et des Indiens ont demandé aux sages de la Cour suprême de confirmer le rétablissement du libre accès des saumons aux cours d’eau.

« L’Etat (de Washington) a l’obligation de ne pas altérer les ressources de la pêche », a déclaré Allon Kedem, représentant les Etats-Unis.

« L’Etat a violé le traité », a assené William Jay, qui défendait la tribu des Suquamish.

La juge progressiste Elena Kagan a semblé être d’accord, en rappelant que les Indiens avaient « renoncé à quelque chose de très important, toutes leurs terres », contre ce droit à la pêche.

La cour rendra sa décision d’ici fin juin dans cette affaire mêlant histoire, écologie, fédéralisme et droits amérindiens.

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