Le vent du Brexit menace de couler la pêche belge

Tout comme le « privilège de pêche » octroyé par le monarque reconnaissant envers sa terre d’exil, Robert Campbell, matelot sur le chalutier Den Hoope, incarne à lui seul ce lien spécial.

Agé de 50 ans, ce Belge flamand est né dans un port de pêche en Angleterre, où son père est mort dans sa jeunesse.

« Mon beau-père était aussi pêcheur », raconte-t-il à l’AFP alors que six membres d’équipage déchargent des caisses de sole et de carrelet sur le quai.

« Il a toujours pêché dans les eaux anglaises, accosté dans les ports anglais », dit-il. « Il a rencontré ma mère et nous sommes tous venus en Belgique quand j’avais cinq ans ».

A l’âge de 15 ans, Robert rejoint lui aussi l’équipage d’un bateau. Il pêche depuis dans les eaux britanniques, à partir d’un port belge.

– 50 à 60% des revenus –

Les prises réalisées par le Den Hoope dans les eaux néerlandaises ou danoises sont débarquées à Ostende. Une fois les 12 tonnes de poissons et de crabes déchargées, le chalutier met le cap sur la Grande-Bretagne.

Lorsque la cale est pleine de poissons, l’équipage débarque à Liverpool (nord-ouest de l’Angleterre), Milford Haven ou Swansea au Pays de Galles, pour y décharger leur cargaison.

Le poisson est ensuite transporté par camion à travers l’Angleterre et le tunnel sous la Manche, jusqu’en Belgique pour y être vendu aux enchères à Ostende, port d’attache du bateau.

Pour les pêcheurs belges, le Brexit représente deux dangers. Si la petite flotte perd son accès aux eaux britanniques, elle perd 50 à 60% de ses revenus, souligne l’association des propriétaires de bateaux Rederscentrale.

Et même si les négociateurs trouvent un accord préservant les quotas de pêche, le retour d’une frontière douanière et réglementaire à Douvres va provoquer embouteillages et retards.

– « Catastrophe » –

Des files d’attentes de centaines, voire de milliers de camions risquent de se former, menaçant l’acheminement rapide du poisson à Ostende, et donc sa fraîcheur.

Selon Marc Vieren, un responsable de la Rederscentrale, l’industrie pourrait peut-être survivre à la perte de l’accès à la pêche côtière dans les 12 milles marins au large du littoral britannique.

Mais si le Brexit empêche l’accès aux eaux plus profondes de la zone économique britannique, « c’est une catastrophe pour nous ».

Or la flotte belge est déjà affectée par les conséquences de la pandémie de Covid-19: les restaurants, comme ceux d’Ostende, qui proposaient raies et turbots, ont fermé et les prix ont chuté de 20% depuis vendredi dernier.

Avant l’épidémie, les pêcheurs belges connaissaient une bonne année. Les propriétaires ostendais ont commandé au moins trois nouveaux bateaux à un chantier naval néerlandais.

– « Pas de survie possible » –

L’un d’eux est déjà à quai en cours d’aménagement. « Si nous ne pouvons plus pêcher dans les eaux anglaises, tous les propriétaires de bateaux devront vendre », prédit Robert Campbell.

« Tous les gens qui travaillent sur ces bateaux, les maisons qu’ils ont achetées, tout cela va s’écrouler », poursuit-il. « Personne ne sait ce que signifie +pas d’accord+. Seuls les politiciens le savent », s’exclame-t-il. « J’espère qu’ils penseront à nous ».

Emiel Brouckaert, directeur de la Rederscentrale, explique que son association s’est associée à d’autres pays de l’UE dans le cadre de l’Alliance européenne de la pêche pour pousser à une solution.

Le secteur est en contact avec le négociateur européen Michel Barnier et bénéficie du soutien des gouvernements au niveau régional et fédéral, même s’il ne représente qu’un poids réduit dans l’économie du pays.

« C’est très clair qu’il n’y a pas de survie possible sans accès aux eaux britanniques », prévient M. Brouckaert, à Zeebruges. « Nous devons parler spécifiquement de la pêche, peut-être la déconnecter du Brexit (…) pour arriver à un accord pour rétablir (ce) droit ».

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