Avec la création de réserves naturelles marines, la diminution des stocks de poissons et la frénésie des constructions, les « Chao Lay » ou « gens de la mer » ont de plus en plus de mal à perpétuer leurs traditions ancestrales.
Un exemple parmi d’autres de la pression que subissent les minorités autochtones dans un pays qui a vu le nombre de touristes atteindre un niveau record de 22 millions l’an dernier.
« Je vivais déjà ici quand c’était la jungle », lance Nang Miden, 78 ans, assis à l’extérieur de sa bicoque du village de Rawai, où vivent quelque 2.000 gitans de la mer.
Ses ancêtres s’étaient appropriés cette langue de terre, sur l’île de Phuket, bien avant qu’elle ne devienne l’une des destinations touristiques les plus populaires du royaume. « Je n’ai nulle part ailleurs où aller ».
Et le combat pour rester s’annonce compliqué. De nombreux Chao Lay ne savent ni lire, ni écrire. Le concept de propriété leur est étranger. Ils ignoraient donc qu’ils pouvaient enregistrer la terre à leur nom et beaucoup d’entre eux n’ont aujourd’hui aucun titre de propriété.
Du coup, d’autres se sont engouffrés dans la brèche. Un promoteur immobilier est ainsi devenu le propriétaire du terrain sur lequel il vit, et veut déplacer plusieurs familles vers l’intérieur des terres.
Descendant de riverains de la plage, désormais parcourue d’une suite ininterrompue de constructions, Nang est menacé d’expulsion.
En février dernier, la justice a ordonné à sept familles de partir. Elles ont décidé de faire appel, dans une procédure qui risque de prendre des années. En attendant, ils vivent presque tous sans eau courante, ni électricité.
Peu à peu, chaque caractéristique de leur existence est menacée. Jadis nomades, vendant poissons, concombres de mer et autres richesses de l’océan, ils se sont sédentarisés ces dernières décennies et font face aux menaces d’arrestation et de saisie de leurs bateaux en pêchant dans les parcs nationaux.
Sans oublier les tensions avec les plongeurs qui sabotent parfois leurs nasses. « Les endroits où nous pouvons travailler se sont réduits de plus en plus. Quoi que nous fassions, ça ne va pas », dénonce Nirun Hyangpan, représentant de la communauté de Rawai.
« Les enfants de la mer »
Mais malgré leur exposition croissante au monde moderne, les Chao Lay conservent leur lien indissoluble avec la mer. Certains affirment ne pas pouvoir s’endormir sans le bruit des vagues.
« Ces gens ont besoin d’une zone en front de mer où ils peuvent amarrer leur bateau et aller chercher de la nourriture. Ce n’est pas seulement spirituel, c’est leur façon de vivre », constate Narumon Arunotai, anthropologue à l’université Chulalongkorn de Bangkok. Même si la pêche traditionnelle ramène de moins en moins de poissons, « ils se sentent toujours les enfants de la mer ».
Redonnant espoir à la communauté de Rawai, le gouvernement a décidé d’analyser de vieilles photographies aériennes ainsi que des os recueillis dans la zone.
« S’il est vrai que ce sont eux qui ont vécu là le plus longtemps, ils devraient avoir plus de droits sur les titres de propriété », estime Prawut Wongseenin, du Département des enquêtes spéciales du ministère de la Justice. Mais « pour gagner leur appel, ils ont besoin de preuves scientifiques ».
Même dans l’eau, les Chao Lay sont en danger. Des entrepreneurs peu scrupuleux les paient pour pêcher à la dynamite et les compresseurs et tuyaux qu’ils utilisent pour rester sous la surface les exposent aux accidents mortels de décompression.
Ils ne représentent qu’environ 12.000 personnes en trois groupes ethniques distincts (Moken, Moklen et Urak Lawoi). Certains, apatrides, n’ont pas accès aux soins ni aux services publics. Et l’école les assimile à la culture thaïlandaise dominante, faisant fi de leurs propres racines.
En 2010, le gouvernement a adopté une résolution censée protéger leur mode de vie. Mais cela ne suffira pas.
« Si le tourisme continue d’exploser avec plus d’hôtels, de spas et de complexes sur les plages, le mode de vie des gitans de la mer va continuer à disparaître », se désespère Nirun.