A l’encontre de l’image d’Epinal slon laquelle la nation est partie au front comme un seul homme, les documents numérisés montrent comment des dizaines de milliers d’hommes ont demandé à être exemptés, la plupart du temps en vain.
Les 11.307 procès-verbaux mis en ligne sont d’autant plus précieux que la plupart des recours ont été détruits après la fin de la guerre sur ordre du gouvernement, soucieux d’effacer ces pages considérées comme moins glorieuses.
John Gordon Shallis a été l’un des très rares à trouver grâce auprès de la cour d’appel du Middlesex dont proviennent les documents datés de 1916, année où la circonscription a été introduite, et 1918.
Appelé sous les drapeaux, cet ouvrier a fait valoir qu’il avait perdu ses quatre frères à la guerre et que sa mère était handicapée après s’être fracturée une jambe. Le président du tribunal a estimé que cette dernière avait « droit au réconfort de garder auprès d’elle son dernier fils vivant ».
Il a été beaucoup moins tendre en revanche avec Harry George Ward qui a demandé à être exempté « pour des raisons de conscience basées sur ses convictions socialistes ». « Etant socialiste, vous ne pouvez pas avoir de conscience », lui a sèchement répondu le tribunal, composé de juges, magistrats, parlementaires et figures locales.
Mais seulement 5% des demandes émanaient d’objecteurs de conscience, l’écrasante majorité étant motivées par des raisons médicales, familiales ou économiques. Pour autant, peu d’appels ont abouti et la plupart des hommes ont dû partir à la guerre.
Sur les 11.307 demandes soumises à la cour d’appel du Middlesex, 26 seulement ont ainsi reçu un aval sans réserve. 581 ont été validées sous conditions, la principale consistant à conserver obligatoirement le même emploi. 2831 ont été acceptées sur une base provisoire seulement, pour permettre le plus souvent aux mobilisés de régler leur situation professionnelle.
Charles Ruben Busby, boucher de son état, a longtemps cru échapper à la réquisition. Jusqu’à ce qu’un de ses voisins n’envoie un courrier anonyme au tribunal pour s’étonner du fait qu’il pouvait continuer à tenir sa boucherie « pendant que des hommes mariés sont forcés de fermer leur boutique et de partir » au front.
Le boucher a fini par servir dans les rangs de la Royal Navy et de la Royal Air Force entre 1917 et 1918.
« Ces documents offrent une perspective différente de la Première guerre mondiale (…) en révélant l’impact qu’a eu le conflit sur le sol national », souligne Chris Barnes, documentaliste aux Archives Nationales.