Sur le port de Longoni, principale porte d’accès des produits et denrées alimentaires à destination de l’archipel français de l’océan Indien, « les containers s’entassent sur le quai de déchargement », constate amèrement un responsable de Mayotte Chanel Gateway, l’entreprise gestionnaire du port, qui souhaite rester anonyme.
« Presque aucune sortie de camions n’a eu lieu au cours de la journée », poursuit-il.
Depuis mercredi, le collectif des « Forces vives de Mayotte » qui bloque le 101e département français a érigé un nouveau barrage à l’entrée des lieux, dans le cadre du « durcissement de la contestation » décidé par le collectif.
« Les Forces vives ont estimé qu’il fallait ériger des barrages à des endroits stratégiques pour que les Mahorais soient entendus », dit Abdou Badirou, leur porte-parole.
« Si le poumon économique de l’île est menacé, les autorités finiront par réagir. Nous bloquons des ronds-points et des services publics depuis trois semaines mais nous n’avons aucune réponse de l’Etat », s’indigne-t-il.
La cible est bien choisie.
Selon l’Agence de la transition énergétique (Ademe), le port de Longoni (nord de l’île) couvre 65% des besoins alimentaires du territoire et la Direction de l’alimentation et de l’agriculture de Mayotte (DAAF) assure observer « une tendance à la hausse de l’importation globale des produits agricoles et alimentaires ».
Depuis le 22 janvier, des Mahorais exaspérés par l’insécurité permanente, l’immigration illégale et, selon eux, l’absence de réponse de l’Etat, ont érigé des barrages en plusieurs points de l’île, paralysant totalement la circulation. Un mouvement qui rappelle le conflit social de 2018, qui avait duré 44 jours et laissé le département exsangue.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et la nouvelle ministre des Outre-mer, Marie Guévenoux, sont attendus dimanche à Mayotte pour préparer une nouvelle offensive contre la délinquance et l’immigration illégale, après la contestée opération Wuambushu lancée en 2023.
– rayons vides –
En termes de santé publique, les craintes liées à l’empilement des containers à Longoni sont encore mesurées. « Ils sont frigorifiés, il n’y aura pas de rupture de la chaîne du froid », rassure-t-on chez Mayotte Chanel Gateway.
Mais pour Carla Baltus, la présidente du Medef local, la situation est très préoccupante. « On a beaucoup de marchandises bloquées, du frais (…) Il commence à y avoir des pénuries dans les magasins », avait-elle alerté mercredi au micro de France Inter.
Même quand les camions parviennent à sortir du port, leur arrivée n’est pas garantie.
Selon « la charte de bonne conduite des Forces vives », élaborée après des critiques et les craintes des habitants de voir se répéter le scénario de 2018, les camions de ravitaillement doivent pouvoir franchir les barrages.
Mais les salariés de la zone portuaire ne parviennent pas toujours à accéder à leur lieu de travail et certains barrages se montrent plus tatillons que d’autres.
Dans les supermarchés, la situation commence donc à devenir critique.
« Depuis le début du mouvement, nous n’avons pas été approvisionnés », avait témoigné début février Zouhaïri Tadjiri, représentant du groupe Bourbon Distribution Mayotte, devant les rayons presque vides d’un supermarché de Sada, dans l’ouest de l’île.
Depuis, la situation s’est aggravée. Seules quelques bouteilles de soda trônent encore sur les rayonnages du commerce.
Du côté des produits locaux, la distribution est aussi complexe. Au total, « 80% des éleveurs de notre syndicat sont des petits agriculteurs et ils ne parviennent pas à écouler leurs stocks », s’inquiète Ali Ambody, le président du syndicat des éleveurs de Mayotte.
« Tout leur reste sur les bras. On ne peut pas livrer Mamoudzou (la principale ville de Mayotte), ni vendre notre manioc et nos bananes. C’est un manque à gagner énorme », poursuit-il.
Et une nouvelle crise pour l’agriculture de l’île, juste après une sécheresse historique dont les effets commencent à peine à se résorber.